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de rendre tangibles des formes, d’éblouir encore avec de la couleur comme la lumière éblouit les champs et l’eau de Flandre. De Rubens à Émile Claus, il y a une parenté de joie et d’émerveillement, une communauté d’ivresse païenne que la foi religieuse associe étrangement à la louange de Dieu par les belles formes et les couleurs éclatantes.

À l’issue des longs pèlerinages, après les processions touchantes de Furnes, de Bruges, de Courtrai, éclate ainsi la joie des kermesses, couvée pendant de longs jours dans le désir silencieux et le travail âpre. Elle est brutale, cette joie, mais elle n’est pas mauvaise. Même débridée, même obscène, elle n’est pas libertine, ni vicieuse. Elle atteindra son paroxysme dans la rixe sanglante et la culbute frénétique derrière la haie. Mais la colère assouvie, l’instinct apaisé, l’honnêteté du peuple reprend ses droits. Il n’est pas d’inimitiés prolongées, ni de filles abandonnées. L’ordre et la discipline morale s’accommodent de ces violences, comme la religion et comme l’autorité civile. Malgré la fréquence des condamnations pour coups et blessures, la grande criminalité est rare en Flandre, et les familles y sont très nombreuses.

En Wallonie, la kermesse s’appelle la Ducasse et son caractère joyeux est moins simpliste. On y retrouve, sans doute aussi, cette association de la fête religieuse avec la fête civique et géorgique, mais mélangée de rappels légendaires et anecdotiques. La vie du Christ, les miracles obtenus par l’intercession des saints, voilà ce qui régit les éphémérides flamandes et ce qui explique l’émotion strictement religieuse de la fête du matin, la violence purement animale des débordemens du soir. Une gaieté plus complexe se répand, en Wallonie, sur les fiesses locales. Si chaque ville, bourg, quartier, village, hameau a la sienne, quelques endroits en ont plusieurs. Il suffit d’un prétexte pour en ajouter, et la tradition de leur célébration s’enrichit constamment d’un détail nouveau. D’ailleurs, la politique s’en mêle. Chaque parti prétend ajouter au rite joyeux ; les rivalités de famille, l’émulation de la richesse contribuent à l’importance d’un plaisir périodique qui tend à devenir continuel. Les cortèges légendaires de Mons, de Nivelles, de Binche s’agrémentent de facéties où l’initiative privée fronde délibérément la tradition antérieure et c’est une sorte de carnaval à visage découvert où l’esprit s’agite autant que le corps.