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tout se révoque de la façon sans juger meurement des affaires ! »

Le grand cardinal disparu, on retombe dans les incertitudes et les incohérences. Colbert, qui est son disciple et son véritable successeur en matière maritime et coloniale, n’a qu’une conception, en somme, assez étroite et purement « commerciale » du système colonial. Sa formule, rigoureusement etatiste, est : « Tout pour et par la métropole. » Lui qui a choisi l’admirable administrateur et initiateur qu’est l’intendant Talon, n’ose pas le suivre quand celui-ci, reprenant les idées de Champlain, soumet au gouvernement royal le seul programme véritablement national qui ait jamais été conçu pour le Canada. Le subordonné, plus chef que les chefs, expose son plan ayant pour but de « former un grand royaume ; » il demande la déchéance des compagnies, et l’action simultanée, dans tous les pays de l’intérieur, pour la création d’une grande « nouvelle France, » allant du Saint-Laurent jusqu’à la Floride, les Nouvelles Suède, Hollande et Angleterre par delà la frontière de ces contrées jusqu’au Mexique. » (C’est une conception analogue à celle qui, à la fin du XIXe siècle, réunit tous nos établissemens d’Afrique en arrière des colonies anglaises et allemandes, par le Sénégal, le Niger, le lac Tchad et le Chari.) Il presse le gouvernement d’aborder cette tâche, de s’y consacrer sans discontinuer et de faire, quand tout est relativement facile, les sacrifices nécessaires (1665).

Mais Louis XIV est engagé dans ses guerres européennes, contre l’Angleterre, bientôt contre la Hollande : il ne comprend pas, — comme Richelieu l’avait compris, quand il s’agissait de l’Espagne, — qu’une diversion lointaine aiderait sa politique générale, au lieu de lui nuire. Colbert, en son nom, morigène Talon : avec de tels projets on dépeuplerait la France, on l’affamerait, on la dépouillerait des soldats dont elle a besoin, on gaspillerait les ressources du Trésor : « Il faut penser, avant tout, à l’établissement du commerce et ne point toucher, le moins du monde, au monopole de la Compagnie. Quant à la colonisation proprement dite, on la pratiquera avec parcimonie, « avec ménage, » dans l’espoir d’obtenir, quand même, de bons résultats par la succession d’un temps raisonnable »[1]. »

Est-il nécessaire de rappeler les abandons de la fin du règne

  1. Cité par Salone, p. 155.