Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/873

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’Auguste Comte aurait dû conclure, tandis qu’il prétendait renfermer notre pensée dans la science objective et lui ordonnait d’être ainsi satisfaite, quitte à chercher pour le cœur je ne sais quel néo-fétichisme de sentiment. »

Mais ayant ainsi affirmé les principes idéalistes de la philosophie et son indépendance à l’égard des théories scientifiques, Alfred Fouillée critique les métaphysiques qu’il juge trop abstraites parce qu’elles ne tiennent pas assez compte des sciences. Il n’y a pas pour lui de conception générale du monde et de la vie possible, si les sciences de la nature n’en forment point la base, si on n’utilise pas les résultats positifs connus. La psychologie pure, fondée sur l’observation de soi, la métaphysique pure ne le contentent point. Il critique Kant ; il critique Renouvier ; il critique Ravaisson. Le kantisme lui plaisait cependant pour des considérations politiques, parce qu’il y trouvait la théorie morale de la révolution française, et du « gouvernement de la raison. » Mais, au point de vue philosophique, il faisait ses réserves sur une doctrine qui s’en tient trop à la critique des connaissances ; il voyait que le kantisme s’était répandu chez les maîtres les plus remarquables de l’Université, mais sous la forme personnelle que lui avait donnée M. J. Lachelier, repensé, combiné avec la philosophie platonicienne et chrétienne. Dans le criticisme de Renouvier, il discernait surtout un appel final au libre arbitre pour décider des dilemmes métaphysiques. Le spiritualisme absolu de Ravaisson enfin était trop éloigné de sa tournure d’esprit pour qu’il ne fût pas à son égard un peu injuste. Le profond et subtil historien d’Aristote lui paraissait revenir vers Maine de Biran, Leibniz et Malebranche ; il se libérait trop, à son gré, d’esprit scientifique ; il avait certes le mérite de favoriser le retour aux grandes spéculations, mais il faisait trop de place dans sa philosophie persuasive et intuitive à une ivresse métaphysique, qui pourtant avait quelque droit de se réclamer de Pascal. Alfred Fouillée ne semble pas avoir goûté bien vivement l’auteur des Pensées. Tout ce qui avait l’air d’être une brèche aux lois de la raison l’effarouchait ; il était de tempérament et par choix nettement rationaliste. Il désirait unir l’intelligence et l’action, la pensée et les choses, mais en assurant la prééminence de la pensée. Il n’admettait pas que l’action d’un être raisonnable pût contenir quelque chose de plus que les lois de la raison même. De là son embarras parmi les philosophies