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selon que ce désir est ou n’est pas satisfait, le plaisir et la douleur sont l’accompagnement de notre vie psychologique. Tout ce qui se passe en nous suppose une volonté, qui est favorisée ou entravée. La distinction ici entre le plaisir et la douleur physiques ou moraux est une abstraction : c’est toujours la volonté qui est en jeu. Elle se manifeste matériellement dans notre tendance organique à nous développer et à croître, comme elle se manifeste moralement dans nos désirs. Elle est à la base des actes les plus élémentaires. Toute préférence est un choix en vue de la vie. Lorsque l’animal distingue entre la sensation désagréable de la faim et la sensation agréable de se nourrir, il fait preuve à quelque degré de discernement et de volonté. L’être inférieur n’en est pas dépourvu. L’amibe elle-même distingue immédiatement ce qui la blesse de ce qui la favorise. Assurément, la pensée réfléchie est abstraite, le raisonnement scientifique est quelque chose de plus compliqué que ce discernement. Mais en mettant le désir, l’émotion à la base de la vie, Alfred Fouillée tenait beaucoup à ne pas y mettre le désir à l’état pur. S’il réagissait contre les écoles intellectualistes qui ne voient partout que des représentations, des idées, il ne voulait pas non plus que, dans les profondeurs vitales, il n’y ait pas déjà à quelque degré un peu de discernement, et comme la promesse de l’intelligence. Là où il y a conscience d’un changement d’état, il y a déjà un rudiment de pensée. Dans la nature, les êtres vivans perçoivent sensiblement les états et les changemens d’état qui sont utiles à connaître pour l’existence. Mais c’est ce même discernement obscur et élémentaire qui s’accroit avec l’expérience, et qui détermine par exemple notre faculté de nous souvenir, car nous nous souvenons de ce qui est essentiel à notre vie ; c’est lui qui forme jusqu’à nos principes logiques les plus abstraits.

Cette « volonté de conscience » n’est pas très facile à saisir, et Alfred Fouillée l’a reconnu, en expliquant pourquoi. Il ne faut pas la confondre avec les idées qui correspondent à des concepts précis ou à des représentations définies. Dès que nous voulons nous la représenter, telle qu’elle est, comme une pensée agissante, nous ne trouvons que des images extérieures et inexactes. Toutes ces formes, ces représentations qui pourraient servir de comparaison sont trop en dehors de nous pour que nous puissions nous en servir pour rendre compte de ce qui