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La psychologie contemporaine, mettant en pleine lumière l’originalité et le pouvoir de la vie affective, n’entend certes pas diminuer la valeur de l’intelligence. Elle est simplement une analyse plus profonde de la réalité, où elle découvre des élémens plus complexes que la logique n’imaginait. Elle réagit contre à tendance à voir dans l’univers une vaste idéologie. Mais si l’intelligence ne constitue pas toute la réalité, si même elle n’est pas capable de nous renseigner indifféremment sur la nature de tout ce qui est, elle est le moyen humain par lequel l’homme agit sur le monde extérieur, construit la science, organise les données de l’observation, et dirige tout ce qui est action depuis sa propre existence jusqu’à la vie politique des sociétés. Ce n’est pas en vérité la découronner que de voir en elle la fleur même de l’activité humaine. Tout ce que la philosophie nouvelle lui demande, c’est de ne pas tourner à vide parmi des abstractions, c’est d’admettre l’expérience, toute l’expérience, c’est de ne pas s’obstiner à méconnaître ce qui n’est pas conforme aux constructions de sa logique, c’est de ne pas réduire a priori la réalité à ce qu’elle juge explicable. La raison, au sens où l’entendaient les anciens et où les contemporains veulent la remettre en honneur, ce n’est pas seulement la faculté d’abstraction : elle comprend toutes les facultés et elle a pour rôle non de tout plier à ses catégories, mais d’examiner, de contrôler, d’organiser tout ce que lui révèle l’observation du réel.

Au fond, c’est ce qu’Alfred Fouillée avec toute sa génération n’a pu admettre. Il était d’un temps où la démarche naturelle de l’esprit était de ne compter comme fait que ce qui était déjà satisfaisant pour les habitudes de la logique. On voit bien dans un de ses derniers ouvrages que ce qui le choque sincèrement dans les philosophies nouvelles, c’est que leur empirisme est sans limite, c’est qu’elles admettent comme fait aussi bien la croyance, la religion ou le besoin d’autorité, que les sciences, le besoin de nouveauté, l’aspiration au progrès. Pour lui, il était d’une époque où l’idée de science et les règles du raisonnement abstrait dominaient les recherches philosophiques. Tout en faisant une large part à l’expérience, il ne l’a donc pas poussée jusqu’au point où elle aurait choqué ses habitudes d’esprit. Il est resté un rationaliste pur, en ce sens qu’il ne concevait pas que l’expérience pût déborder le cadre des catégories de ma pensée. Si l’idée-force règne sur sa philosophie, c’est qu’au