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fond il ne croit pas qu’il y ait plus dans le monde que dans la logique humaine, ni qu’une réalité puisse échapper aux prises de la dialectique. Lui-même cependant par les exigences de sa nature dépassait cette logique. A lui seul son rationalisme le conduisait à une théorie beaucoup plus mécanique et beaucoup moins soucieuse de la morale. Au dernier moment, il n’a jamais voulu sacrifier l’idéalisme, et c’est son honneur ; mais il n’a jamais voulu lui chercher une base là où il aurait pu en trouver une solide, et c’est sa faiblesse. Ce conflit a sa grandeur, et il est d’autant plus intéressant à retenir que c’est celui de toute une époque. Alfred Fouillée a sa place dans le mouvement de la philosophie universitaire, parce qu’il a, malgré ses théories mêmes, soutenu la cause de la liberté et de la morale, et qu’il a cherché à concilier dans les doctrines opposées tout ce qui pouvait les sauvegarder. Historiquement, ses entreprise pour établir une philosophie à la fois spiritualiste et scientifique aboutit à une vaste laïcisation des notions sur lesquelles a vécu l’humanité. Des idées de l’époque, adoptées, étudiées et développées par lui, Fouillée ne pouvait pas faire sortir ce que sa morale exigeait. Il l’a sauvée par son propre effort, et par libre choix. En considérant les systèmes de logique intellectuelle, il en avait vu surgir le déterminisme, le pessimisme, le matérialisme, la morale scientifique, et comme le personnage de la mythologie antique, il n’a plus trouvé, au fond, pour y remédier, que l’espérance : il l’a répandue avec toute la générosité de sa nature.


ANDRE CHAUMEIX.