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ne sont pas à toi. C’est une avance qu’on vous fait. Les galons, ça se gagne dans le sang. Quand le sol est menacé, verser son sang, on n’a pas encore trouvé mieux. Tu te crois brave, parce que tu as ton brevet d’aviateur et que tu as exposé dix fois ta vie. Si tu as compté les fois, ça ne compte plus. Et puis la bravoure, ce n’est pas de choisir son genre de mort, c’est d’accepter le sacrifice, tel que le devoir nous l’envoie. » Et il agite un drapeau qu’il a repris sur l’ennemi à Rezonvllle. Et il jure sur ses plis sacrés qu’il tuerait de ses mains le fils déserteur. — Toute cette scène, d’une vraie éloquence, sans vaine déclamation, est d’un grand effet. Elle a été acclamée. Les salves d’applaudissemens éclataient comme des feux de salve et des crépitemens d’artillerie.

Le premier acte était surtout en conversations ; le second est surtout en action ; je l’aime moins. Cela se passe dans une maison isolée, sise à Vincennes, dont Pierre a fait son laboratoire. C’est là qu’il fabrique la poudre sans pareille. Les papiers où le secret est consigné sont enfermés dans une cassette. Nous assistons d’abord à une scène muette, sorte de pantomime. Le colonel s’introduit dans la pièce obscure, allume une bougie, atteint la cassette, l’ouvre, prend les papiers ; puis il les remet au ministre de la Guerre accompagné de son chef de cabinet, le général Girard, à qui il a donné rendez-vous. Alors le ministre rompt le silence et annonce au colonel deux événemens, deux malheurs : un privé, un public. Son fils, Jacques, celui qui était parti au Maroc, est mort à l’ennemi, dans un guet-apens. Le crime vient d’Europe. Il va déchaîner la guerre, qui éclatera aujourd’hui même. Le colonel a été choisi pour remplir une mission périlleuse, qui assurera la victoire à la France, et dont il est impossible qu’il revienne Ai vaut. Telle est sa récompense : il mourra pour la patrie. Hommage à celui qui va mourir. Effusions.

Le colonel reste seul, mais, entendant des pas, se réfugie dans un cabinet voisin. C’est Pierre qui arrive à son tour, accompagné de sa mère. Il s’aperçoit tout de suite qu’on l’a volé. Qui cela ? Quelqu’un qui se cache derrière cette porte et qu’il somme de se montrer, en le menaçant de son revolver. La porte s’ouvre ; Pierre se trouve en présence de son père : « Vous m’avez dérobé mon invention. — Je l’ai réquisitionnée pour le pays. — Ainsi, vous pratiquez l’espionnage ! — En service commandé. » Le colonel s’est fait espion : tel est son secret. C’est l’explication de ces démarches étranges, qui inquiétaient Mme Eulin. Nous avons vu au théâtre pas mal d’espionnes, qui étaient des femmes fatales et dont on flétrissait la coupable industrie. Telle,