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dans la pièce d’Alexandre Dumas, la femme de Claude qui volait le fusil inventé par son mari et auquel fait pendant l’explosif du lieutenant Pierre. Mais je ne crois pas qu’on eût encore mis à la scène lu personnage de l’espion en temps de paix et pour en faire un héros. C’est une création originale et hardie. Profitant de la stupeur où il voit plongés sa femme et son fils, le colonel reprend son avantage. C’est lui qui mène le jeu. Il change de ton, s’attendrit pour annoncer la mort de Jacques. Cependant on entend un coup de canon. La guerre est déclarée. « Je pars ! » s’écrie Pierre subitement converti. « Va te battre ! » lui ordonne sa mère soudain redevenue militariste... Je ne puis m’empêcher de trouver que ce revirement est bien rapide. Je sais d’ailleurs ce que l’auteur serait en droit de me répondre. Ce coup de canon, c’est le coup de la Grâce. C’est le dénouement de Polyeucte : « Je vois, je sais, je crois, je suis désabusé. » Aussi bien, tel est l’antimilitarisme chez les Français. C’est une fanfaronnade du temps de paix, qui ne résiste pas au premier appel de la patrie. C’est une nuée qui se dissipe au premier feu.

Telle est cette pièce brève, haletante, et qui devait l’être. L’auteur a compris la nécessité, dans un tel sujet, de faire court. Il a dû, dans le peu d’espace dont il disposait, accumuler beaucoup de faits qui ne sont pas du répertoire de la vie ordinaire. Comme on disait de Corneille à propos du Cid, on sent qu’il travaille à l’heure. Il n’avait pas le loisir de nous faire assister à une évolution de caractères, ni davantage de nous initier à cette complexité de sentimens, à ces influences du milieu, des circonstances, du moment, qu’il a su, en d’autres pièces, nous présenter dans des études si curieusement fouillées. Il a dû laisser de côté tout un ordre de recherches psychologiques, morales, sociales, qui eussent été singulièrement intéressantes, mais aussi très scabreuses. Le lieutenant Pierre est antimilitariste ; mais comment l’est-il devenu ? Par où s’est infiltré chez lui le poison ? Quelle propagande a eu raison chez lui d’un long atavisme ? Il eût fallu le dire pour expliquer le rôle et rendre le personnage vivant. Mais la question était délicate et le tact le plus élémentaire interdisait de la porter au théâtre. L’auteur, avec un juste sentiment des limites où il convenait de se tenir, s’est borné aux grandes lignes. Il s’est contenté d’indications. Il a ramené son art à des procédés volontairement sommaires, avec un évident parti pris de sécheresse et d’austère nudité. C’est un art de Primitif. Ses personnages, comme ceux des vieilles enluminures ou de la statuaire naïve d’autrefois, sont fixés dans une attitude, réduits à un geste expressif. Ils figurent une idée : ils sont cette idée qui a