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pris corps. Quant aux incidens, il ne faut pas les prendre en eux-mêmes ; ils ont une valeur de symboles et de signes : ils ont je ne sais quoi de théorique et qui tient du schéma. Servir est-il même une pièce de théâtre, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, et qui doive être jugée d’après l’habituelle esthétique de la scène ? C’est plutôt une moralité épique, un « Mystère » inspiré par la religion du drapeau. C’est un dialogue sous un lustre, où s’entre-choquent des répliques cornéliennes. Tout le mérite en est dans l’expression de certaines idées qui sont à l’ordre du jour de la conscience française ; et je ne sais ce qu’il faut en louer davantage, ou la noblesse de ces idées elles-mêmes, ou la sobriété vigoureuse de leur expression.

M. Guitry est pour le rôle du colonel Enfin un interprète d’une belle puissance. A défaut de la variété et des nuances qui ne sont pas dans le texte et qu’il ne pouvait y introduire, il a une sorte d’énergie sombre et continue. Il a joué la maîtresse scène qui termine le premier acte avec une sincérité d’émotion que je lui avais rarement vue à ce degré. M. Capellani joue avec tact le personnage de l’officier pacifiste qui si facilement aurait pu paraître odieux. Grand succès pour Mme Gilda Darthy qui a composé avec un art des plus délicats la figure grave et triste de la mère.

Servir est précédé d’un petit acte, la Chienne du Roi, reconstitution historique qui fait songer à quelqu’un de ces « vieux papiers » où M. Lenotre met son art charmant du détail curieux et de la vision pittoresque. Cette évocation des derniers jours de Mme Du Barry, prisonnière à Sainte-Pélagie, donne très bien l’illusion d’une estampe ancienne. Mme Hading y est très émouvante.


De la Porte-Saint-Martin, où il a triomphé avec la Flambée, M. Kistemaeckers nous arrive à la Comédie-Française. Il y apporte toute sorte de qualités extrêmement appréciables, et que les plus lettrés parmi nos auteurs dramatiques d’aujourd’hui dédaignent trop. Ce sont des qualités de métier. Il a le plus louable souci de la pièce bien faite. Il sait ajuster les scènes, équilibrer les développemens, ménager l’intérêt de surprise. Il a ce goût du romanesque qui lui est commun avec la plus grande partie du public. Il pense qu’il faut du dramatique dans un drame, et le mélodramatique n’est pas pour lui faire peur. Il est d’avis qu’il faut au théâtre des coups de théâtre et qu’on n’en saurait trop mettre. Il affectionne les grandes catastrophes, les grands sentimens et les grands mois. Il secoue, il remue. Et on arrive au bout de ces quatre actes, où on a passé par tant d’impressions diverses et de