Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/926

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentimens excessifs, non pas ennuyé, ni lassé, ni déçu, mais un peu fatigué, brisé, rompu, fourbu et demandant grâce. C’est du théâtre, incontestablement ; il est moins certain que ce soit de la littérature.

Le premier acte de l’Embuscade est un acte d’exposition très rempli et assez bien ordonné. Nous sommes à Nice, sur la terrasse d’une villa au bord de la mer, pendant une fête de nuit. Il y a des lampions, il y a de la musique, il y a des couples qui vont et qui viennent, et qui s’extasient devant le décor féerique d’une nuit méditerranéenne. Les invités et les bouts de dialogue s’entre-croisent. Un général russe se livre à des facéties que lui seul trouve plaisantes. Peu à peu tout ce tumulte s’apaise et nous entrons dans le vif du sujet par une conversation entre M. Guéret, le maître de céans, et le jeune Robert Marcel. M. Guéret, riche fabricant d’automobiles, a reconnu chez le jeune ingénieur des dons qui confinent au génie. Il brûle de l’attacher à son usine. Mais Robert est à la veille de partir pour Sidney. Car il est enfant naturel et il estime qu’il n’y a pas de place en Europe pour les enfans naturels. Comme tous les enfans de l’amour dans tous les premiers actes de toutes les pièces de théâtre, il ignore le secret de sa naissance. Ce secret, son protecteur, M. de Limeuil, le connaît, mais refuse obstinément de le lui livrer : Robert continuera d’être l’enfant du mystère. A cet instant, la fille de la maison, Mlle Anne-Marie Guéret, vient sur la terrasse chercher un danseur ; Robert lui offre son bras, et les deux jeunes gens entrent dans la danse. Une conversation de Limeuil et de Mme Guéret nous apprend que Mme Guéret est la mère de Robert. Elle a eu une faiblesse avant le mariage. Les mères, dans ce genre de théâtre, ont très facilement avant le mariage une faiblesse, qu’elles ont bien soin de ne pas avouer au mari, ce qui ne les empêche pas d’être les plus estimables des femmes, bien entendu, et ce qui ménage pour l’avenir des situations remarquablement compliquées et fertiles en pathétique. Robert revient grisé par la danse et par le charme de sa gracieuse compagne. Lui, le Robert à la triste figure, il parle avec une inlassable volubilité ; il fait des mots et même des théories ; il fait la théorie de l’embuscade. On a échappé à toute sorte de dangers, on s’est tiré des pas les plus difficiles ; mais la destinée est là qui veille : vous étiez prêt pour une bataille rangée, vous succombez dans une petite embuscade. A ce moment précis, M. Guéret décide Robert à entrer à son usine. Voilà l’embuscade. — On voit comme tout cela est manié d’une main sure. Peu à peu, la vérité se découvre, la situation des personnages s’éclaire et se précise, comme la lumière se lève sur un paysage qui sort de l’ombre. Nous ne pouvons douter