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à leur malheureux sort. Si, par pudeur, on dépêchait un esclave au chevet d’un malade, on l’envoyait tout de suite aux étuves, on le faisait désinfecter de la tête aux pieds, avant de lui rouvrir la porte de la maison.

Augustin eut du moins la chance d’être bien soigné, puisqu’il en réchappa. Il était descendu chez un de ses frères manichéens, un « auditeur » comme lui, brave homme qui demeura son hôte pendant tout son séjour à Rome. Néanmoins, il fut très éprouvé par la fièvre, au point d’être en danger de mort. « Déjà, je m’en allais, — dit-il, — et j’étais perdu. » Il s’épouvante, à l’idée d’avoir vu la mort de si près, et dans un moment où il était si loin de Dieu, — si loin, en vérité, qu’il ne songea même pas à demander le baptême, ainsi qu’il avait fait, en pareil cas, quand il était petit. Quel coup irréparable ç’aurait été pour Monique ! Il en frémit encore, en se rappelant le péril : « Si le cœur de ma mère eût été frappé d’une telle blessure, il n’aurait jamais guéri. Car je ne puis assez dire de quelle âme elle m’aimait, ni combien les angoisses de mon enfantement spirituel lui étaient plus douloureuses que les douleurs de mon enfantement selon la chair. » Mais Monique priait. Augustin fut sauvé. Il attribue son salut aux supplications ardentes de sa mère, qui, demandant à Dieu la guérison de son âme, obtint, sans le savoir, celle de son corps.

Sitôt convalescent, il dut se mettre en campagne pour recruter des élèves. Il lui fallut solliciter maint personnage important, frapper à mainte porte inhospitalière. Ce triste début, cette crise presque mortelle dont il relevait à peine, ces corvées obligatoires, tout cela ne lui rendait pas Rome aimable. Il paraît bien qu’il ne s’y est jamais plu, et que, jusqu’à la fin de sa vie, il lui a gardé rancune de son mauvais accueil. Dans toute la masse de ses écrits, il est impossible de découvrir un mot d’éloge pour la beauté de la Ville éternelle, tandis qu’au contraire, à travers ses invectives contre les vices de Carthage, on sent percer sa complaisance secrète pour la Rome africaine. La vieille rivalité entre les deux villes n’était pas éteinte après tant de siècles. Au fond, Augustin, en bon Carthaginois, — et parce qu’il était Carthaginois, — n’aimait pas Rome.

Les circonstances les plus défavorables se réunissaient comme à plaisir pour l’en dégoûter. Il s’y installait aux approches de la mauvaise saison. Les pluies de l’automne s’étaient mises à