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tomber. Les matinées et les soirées étaient froides. Avec sa poitrine délicate, son tempérament frileux d’Africain, il dut souffrir de ce climat humide et glacial. Rome lui apparut comme une ville du Nord. Les yeux encore tout pleins de la chaude lumière de son pays, de la blancheur joyeuse des rues de Carthage, il errait comme un exilé entre les sombres palais romains, attristé par les murs gris et les pavés boueux. Des comparaisons involontaires et perpétuelles entre Carthage et Rome le rendaient injuste pour celle-ci. Il lui trouvait un aspect dur, tendu, déclamatoire, et, devant l’âpreté de la campagne romaine, il évoquait la riante banlieue carthaginoise, avec ses jardins, ses villas, ses vignes et ses olivaies, ceintes, de toutes parts, du resplendissement de la mer et des lagunes.

Et puis Rome ne pouvait pas être un séjour bien enchanteur pour un pauvre maître de rhétorique qui venait y chercher fortune. D’autres étrangers s’en étaient plaints avant lui. Toujours monter, descendre les escaliers et les rampes souvent très raides de la ville aux sept collines, courir de l’Aventin aux jardins de Salluste, des Esquilies au Janicule ! Se meurtrir les pieds aux cailloux pointus des venelles en pente ! Ces courses étaient épuisantes, et cette ville n’en finissait pas. Carthage aussi était grande, — presque aussi grande. Mais Augustin n’y était point en solliciteur. Il s’y promenait en flânant. Ici, le mouvement des foules, la cohue des attelages dérangeaient et exaspéraient sa nonchalance de Méridional. A tout instant, on risquait d’être écrasé par des chars lancés au galop dans des rues étroites : c’était alors la manie des élégans de courir en poste. Ou bien on était obligé de s’arrêter pour livrer passage à la litière d’une matrone, escortée de sa maison, depuis les esclaves des métiers et les gens de cuisine, jusqu’aux eunuques et à la menue valetaille, toute cette armée évoluant sous les ordres d’un chef qui tenait à la main une baguette, insigne de ses fonctions. Quand la voie était redevenue libre et qu’enfin on avait atteint le palais du personnage influent qu’on allait visiter, on n’y entrait point sans graisser le marteau. Pour se faire présenter au maître, il convenait d’acheter les bonnes grâces de l’esclave nomenclateur, qui non seulement vous introduisait, mais qui, d’un mot, pouvait vous recommander, ou vous desservir. Encore, après toutes ces précautions, n’était-on point assuré de la bienveillance du patron. Certains de ces grands seigneurs, qui n’appartenaient