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pas toujours aux vieilles familles romaines et qui se piquaient d’un nationalisme intransigeant, affectaient de traiter avec hauteur les étrangers. Les Africains n’étaient pas très bien vus à Rome, surtout dans les milieux catholiques. Augustin dut en faire la désagréable expérience.

Le soir, à travers les grandes rues brillamment éclairées (il parait que l’éclairage de Rome rivalisait avec la lumière du jour), il revenait exténué au logis de son hôte, le manichéen. D’après une antique tradition, ce logis était situé dans le quartier du Vélabre, dans une rue qui s’appelle encore aujourd’hui la Via greca, et qui longe la très vieille église de Santa-Maria-in-Cosmedin : quartier pauvre, où grouillait toute une pouillerie orientale, où descendaient les immigrans des pays levantins. Grecs, Syriens, Arméniens, Egyptiens. Les entrepôts du Tibre n’en étaient pas très éloignés : les manœuvres, les porte-faix et les bateliers du port abondaient sans doute dans cette région. Quel milieu pour celui qui avait été, à Thagaste, l’hôte du fastueux Romanianus, et, à Carthage, le familier du proconsul ! Quand il avait remonté les six étages de son logeur, tout grelottant devant le brasero mal allumé, à la lueur parcimonieuse d’une petite lampe de bronze ou d’argile, dans le froid humide qui tombait des murs, il sentait davantage sa détresse et son isolement. Il détestait Rome et la sotte ambition qui l’y avait amené.

Et pourtant, Rome devait toucher vivement ce lettré, cet esthéticien si épris de la beauté. Rien que le transfert de la cour à Milan l’eût privée d’une partie de son animation et de son éclat, elle était encore tout illuminée de ses grands souvenirs, et jamais elle n’avait été plus belle. Il semble impossible qu’Augustin n’en ait pas été frappé, en dépit de ses préventions d’Africain. Si bien bâtie que fût la nouvelle Carthage, elle ne pouvait se comparer à une ville plus que millénaire, qui, à toutes les époques de son histoire, avait eu le goût princier des bâtimens, et qu’une longue série d’empereurs n’avait cessé d’embellir.

Lorsque Augustin débarqua d’Ostie, il vit se dresser devant lui, fermant la perspective de la Voie appienne, le Septizonium de Septime Sévère, imitation sans doute plus grandiose de celui de Carthage. Ce vaste édifice, probablement un château d’eau de dimensions gigantesques, avec ses ordres de colonnes superposées,