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fût belle. Depuis quelque temps, une hostilité sourde couvait, dans le cœur des provinciaux, contre la tyrannie du pouvoir central, surtout depuis qu’il était incapable d’assurer la paix et que les Barbares menaçaient les frontières. Fatigués de tant d’insurrections, de guerres, de massacres et de pillages, ils en venaient à se demander si cette grande machine compliquée de l’Empire valait tout le sang et tout l’argent qu’elle coûtait.

En outre, Augustin approchait de la crise qui allait le rendre à la foi catholique : il avait été chrétien, et, comme tel, élevé dans des principes d’humilité. Avec ces dispositions, il jugeait peut-être qu’à Rome, l’orgueil et la vanité de la créature s’arrogeaient une place excessive, pour ne pas dire sacrilège. Ce n’étaient pas seulement les empereurs qui disputaient aux dieux le privilège de l’immortalité, c’était n’importe qui, pourvu qu’on fût riche, ou qu’on eût une célébrité quelconque. Parmi les dorures criardes, aveuglantes des palais et des temples, que de statues, que d’inscriptions s’efforçant de perpétuer une mémoire obscure, ou les traits d’un inconnu ! Sans doute à Carthage, où l’on copiait Rome, comme dans toutes les grandes villes, les inscriptions et les statues foisonnaient aussi sur le forum, sur les places et dans les thermes publics. Mais ce qui n’avait pas choqué Augustin dans sa patrie, le choquait dans une ville étrangère. Ses yeux dépaysés s’ouvraient sur des défauts que l’accoutumance lui avait voilés jusque-là. Enfin, à Rome, la folie des statues et des inscriptions sévissait certainement beaucoup plus qu’ailleurs. Le pullulement des statues sur le forum y produisait un tel encombrement, qu’on dut à plusieurs reprises les mettre en coupe réglée et déménager les plus insignifiantes. Les hommes de pierre chassaient les hommes vivans, refoulaient les dieux dans leurs temples. Et les inscriptions des murailles étourdissaient l’esprit d’un tel bruit de louange humaine que l’ambition ne rêvait plus rien au delà. C’était une espèce d’idolâtrie qui révoltait les chrétiens austères, et qui devait troubler déjà, en Augustin, la pudeur d’une âme ennemie de l’enflure et du mensonge.

Les vices du peuple de Rome qu’il était obligé de coudoyer, lui infligeaient d’autres froissemens plus pénibles. Et d’abord les indigènes détestaient les étrangers. Au théâtre, on criait : « A bas les métèques ! » Fréquemment, des accès de xénophobie aiguë causaient des émeutes dans la ville. Quelques années avant l’arrivée d’Augustin, la crainte de manquer de vivres