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fort bien d’une telle morale et d’une telle métaphysique. Et puis, il n’était pas de ces esprits entiers et tranchans qui éprouvent le besoin de rompre en visière bruyamment avec ce qu’ils regardent comme l’erreur. Nul n’a combattu les hérésies avec plus de vigueur, avec une patience plus infatigable que lui. Mais il y mettait des ménagemens. Il savait, par expérience, combien il est facile de se tromper, et il le disait charitablement à ceux qu’il désirait convaincre : il n’avait rien d’un saint Jérôme.

Ensuite, des raisons personnelles l’engageaient à ne pas se brouiller avec ses coreligionnaires, qui l’avaient soutenu, soigné même, à son arrivée à Rome et qui, d’ailleurs, pouvaient lui rendre encore des services : nous le verrons tout à l’heure. Augustin n’était point, comme son ami Alypius, un esprit pratique, mais il avait du tact, et, malgré toute l’impétuosité et toute la fougue de sa nature, une certaine souplesse, qui lui permettait d’évoluer, sans trop de heurts, au milieu des conjonctures les plus embarrassantes. Par une instinctive prudence, il persista donc dans son indécision. Peu à peu, lui qui, autrefois, s’était jeté avec tant d’ardeur à la poursuite de la vérité, il glissa au scepticisme, — le scepticisme des Académiques, sous sa forme commune.

En même temps qu’il perdait le goût de la spéculation, de nouveaux déboires de métier achevaient de le décourager. Si les étudians de Rome étaient moins tapageurs que ceux de Carthage, ils avaient la déplorable habitude de quitter leurs maîtres sans les payer. Augustin fut bientôt victime de ces escroqueries : il perdait son temps et ses paroles. A Rome, comme à Carthage, il constatait qu’il ne pouvait pas vivre de sa profession. Quel parti prendre ? Allait-il retourner dans son pays ? Il se désespérait, lorsqu’une chance imprévue se présenta.

La municipalité de Milan mit au concours une chaire de rhétorique. C’était le salut pour lui, s’il l’obtenait. Depuis longtemps, il souhaitait d’entrer dans l’enseignement public. Recevant un traitement fixe, il n’aurait plus à s’occuper du recrutement de sa classe, ni à compter avec la mauvaise foi de ses élèves. Tout de suite il se fit inscrire parmi les candidats. Mais le seul mérite ne suffisait point pour réussir, pas plus en ce temps-là qu’aujourd’hui. Il fallait encore intriguer. Ses amis, les manichéens, s’en chargèrent pour lui. Ils le recommandèrent chaudement au préfet Symmaque, qui, probablement, présidait