Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le concours. Augustin l’emporta. Par une plaisante ironie de la destinée, il dut sa place à des gens qu’il se préparait à quitter, qu’il allait même attaquer bientôt, et aussi à un homme qui était l’adversaire en quelque sorte officiel du christianisme. Le païen Symmaque faisant nommer à un poste important un futur évêque catholique, il y a de quoi être surpris ! Mais Symmaque, qui avait été proconsul à Carthage, protégeait, à Rome, les Africains. En outre, il est à supposer que les manichéens lui avaient signalé leur candidat comme hostile aux catholiques. Or, en cette année 384, le préfet venait d’entrer en lutte ouverte contre le catholicisme. Il crut donc faire un bon choix en nommant Augustin.

Ainsi, un enchaînement de circonstances, où sa volonté n’entrait que pour peu de chose, allait conduire le jeune rhéteur à Milan, et même beaucoup plus loin, — là où il ne voulait pas aller, où les prières de Monique l’appelaient sans relâche : « Là où je suis, là aussi tu seras ! » Au moment où il quitta Rome, il ne s’en doutait guère. Il comprenait seulement qu’il avait enfin conquis son indépendance matérielle et qu’il était devenu un fonctionnaire considérable. Il en eut tout de suite la preuve flatteuse : c’est aux frais de la municipalité milanaise et dans les équipages impériaux qu’il traversa l’Italie pour rejoindre son nouveau poste.


III. — LA RENCONTRE D’AMBROISE ET D’AUGUSTIN

Avant de partir, et pendant le trajet de Rome à Milan, Augustin dut se répéter plus d’une fois le vers de Térence, que son ami Marcianus lui avait cité, en guise d’encouragement et de conseil, au moment où il s’embarquait pour l’Italie :


Ce jour qui t’apporte une vie nouvelle réclame, en toi, un homme nouveau.


Il avait trente ans. Le temps des folies juvéniles était passé. L’âge, les désillusions, les difficultés de la vie avaient mûri son caractère. Voici qu’il devenait un homme posé, un fonctionnaire en vue, dans une très grande ville, qui était la seconde capitale de l’Empire d’Occident et la résidence habituelle de la Cour. S’il voulait éviter de nouvelles contrariétés dans sa carrière, il lui importait d’adopter une ligne de conduite dûment réfléchie.