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des cités, conseiller des Empereurs, représentant de Dieu sur la terre ? Augustin pouvait être tout cela. Et il s’obstinait dans son erreur ! Il fallait redoubler d’efforts et de prières, pour l’en arracher. C’était pour elle-même aussi qu’elle luttait, pour la plus chère de ses espérances maternelles. Enfanter une âme à Jésus-Christ, — et une âme d’élection, qui sauverait, à son tour, des âmes sans nombre, — elle n’avait vécu que pour cela. C’est pourquoi, sur le pont du navire, — brisée par le tangage, renversée par les paquets d’eau et les coups de la rafale, elle disait aux matelots : « Que craignez-vous ? Nous arriverons ! J’en suis sûre !... »

A Milan, elle fut, pour l’évêque Ambroise, une paroissienne exemplaire. Elle assistait à tous ses sermons, était « suspendue à ses lèvres, comme à une source d’eau vive, qui jaillit jusqu’à la vie éternelle. » Cependant, il ne semble point que le grand évêque ait mieux compris la mère que le fils : il n’en avait pas le temps. Pour lui, Monique était une bonne femme d’Afrique, un peu bizarre peut-être dans sa dévotion et adonnée à mainte pratique superstitieuse. Elle continuait, par exemple, comme c’était la coutume à Carthage et à Thagaste, de porter, sur les tombeaux des martyrs, des corbeilles pleines de pain, de vin et de pultis. Quand elle se présenta, avec sa corbeille, à l’entrée d’une des basiliques milanaises, le portier l’empêcha d’aller plus loin, alléguant la défense de l’évêque, qui avait solennellement condamné ces pratiques, comme entachées d’idolâtrie. Du moment que c’était défendu par Ambroise, Monique, la mort dans l’âme, se résigna à remporter son panier : Ambroise, à ses yeux, était l’apôtre providentiel qui conduirait son fils au salut. Cependant, elle eut beaucoup de peine à renoncer à cette vieille coutume de son pays. Sans la crainte de déplaire à l’évêque, elle y eût persévéré. Celui-ci lui savait gré de son obéissance, de sa ferveur et de sa charité. Quand, par hasard, il rencontrait son fils, il le félicitait d’avoir une telle mère. Augustin, qui ne méprisait pas encore la louange humaine, attendait sans doute qu’Ambroise le complimentât à son tour. Mais Ambroise ne le louait point, — et peut-être qu’il s’en trouvait mortifié.

Lui aussi, d’ailleurs, était toujours très occupé : il n’avait guère le temps de mettre à profit les pieuses exhortations de l’évêque. Son métier et ses relations lui prenaient toute sa journée. Le matin, il faisait son cours. L’après-midi était consacré