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romans et de leurs recueils d’essais, et qu’ils y satisfaisaient leur goût pour les idées morales examinées avec un sens très pratique, très avisé, qu’ils y nourrissaient les tendances très empiristes de leurs esprits qui ont donné au monde la philosophie de Locke et celle de Reid, les Anglais y trouvaient encore ce mélange singulier d’une extrême liberté de pensée jointe à un respect très prudent de la tradition. Et j’entends bien l’objection : Est-il sûr que ces traits distinguent le génie anglais, dira-t-on ? Aujourd’hui que les pensées nationales semblent se dépouiller peu à peu de leurs particularités pour se fondre dans un vaste courant intellectuel, que les mêmes méthodes et les mêmes objets d’étude se retrouvent partout, n’est-il pas téméraire de parler d’une pensée anglaise et de prétendre en définir les caractères ? Les disciples de Taine nous ont appris combien ces tentatives sont aventureuses. Je le veux bien, mais, à défaut du présent, il semble bien que le passé de la littérature et de la philosophie anglaises manifeste quelques caractères propres à la race, qu’on y retrouve en particulier ceux que je viens de dégager dans les Essais. Et puis d’ailleurs, peu importe : ce qui est sûr en tout cas, c’est que ces caractères sont ceux que les Anglais ont le plus fréquemment loués dans les Essais, qu’ils y ont admirés, qu’ils ont cherché à imiter : ce sont eux par conséquent qui ont fait la réputation de Montaigne en Angleterre, qui lui ont donné cette « vertu magique » dont parle quelque part un critique anglais.


PIERRE VILLET.