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seule beauté de la vie résidait dans sa dignité inflexible et lente, où l’enfer réellement n’avait pas de fond et où une Bible à fermoir doré était le secret de la grandeur de l’Angleterre. L’Angleterre du milieu du règne de Victoria gisait sur ce lit d’acajou. Un idéal avait disparu avec John Baines. C’est toujours ainsi que l’idéal meurt, non pas dans l’apparat conventionnel d’une mort honorée, mais chétivement, ignoblement, tandis qu’on a la tête tournée...


II

Car Baines est mort pendant que sa fille Sophia, préposée à sa garde, l’avait abandonné au premier appel de l’amour qui passe : et c’est le symbole même de la loi cruelle qui domine tout le cours de la vie. Il y a une grande tristesse au fond de ces romans où se déroulent des destinées entières et se succèdent des générations. Ils ne se bornent plus, comme tant d’autres, à ordonner autour d’un événement heureux ou malheureux les épisodes qui le préparent ou que lui-même engendre à son tour. Non ; nous sommes obligés de considérer ici la longue suite des jours et la succession des âges. Spectacle cruel, devant lequel l’esprit du romancier incline à l’ironie comme son cœur à la pitié : car tout cela est mesquin et misérable ; il y a de quoi sourire et pleurer.

Le premier effet du développement de la vie, la première conséquence de ses lois inéluctables, la première manifestation de sa terrible logique, c’est d’opposer les parens et les enfans. Cet antagonisme est un point capital dans l’œuvre de M. Arnold Bennett. Si ses romans avaient, au sens strict où nous prenons le mot, un sujet, on pourrait dire que le sujet de Clayhanger est le conflit du père et du fils. La relation est à peu près la même entre la jeune fille et sa mère durant le peu de temps qu’il leur reste à vivre ensemble, au début de Hilda Lessways. Enfin dans The Old Wives’ Tale, où paraissent trois générations, nous ne voyons pas qu’il y ait de plus profondes intelligences entre la mère et ses filles, non plus qu’entre celle des deux qui devient mère à son tour et son propre enfant.

Prenons ce dernier roman d’abord : il est le premier en date de ceux que nous considérons ici et nous fournit comme la première esquisse d’un contraste que l’auteur se plaira à reprendre et à renforcer. Sophia Baines, espiègle et vive, semble une étrangère dans la maison de ses parens, les marchands de