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Je ne vous en demande pas autant ; mais je dis comme lui que jamais je ne m’accoutumerai à la pensée de ne plus vous revoir. Va pour un hiver, puisqu’il le faut ; mais au printemps et l’été prochain, que ferez-vous ? N’irez-vous pas en Angleterre pour voir l’exposition avec vos enfans et voir en même temps votre beau-frère Rodolphe[1] ? Si vous faites ce voyage, nous nous rencontrerons à Paris et même en Angleterre, car je nourris aussi le projet de ce voyage et de le prolonger jusqu’en Ecosse pour visiter quelques sites.

J’en ai vu de bien beaux et intéressans en revenant de chez le P. Lacordaire. J’ai trouvé cet admirable ami dans un état désespéré, il n’y a aucune chance de le conserver : il souffre avec une héroïque patience, mais se fait encore illusion sur son mal, d’autant plus qu’il peut encore se lever et même sortir. J’ai obtenu de lui qu’il dicterait les mémoires de sa vie et surtout de ses diverses fondations.

Il s’est mis à l’œuvre avec beaucoup d’ardeur. Cela nous vaut un beau monument de plus, et cela le distrait de ses souffrances qui ne lui permettent ni de lire, ni d’écrire. Je vous remercie de la tendre sympathie que vous me témoignez à cette occasion, et je vous reparlerai de lui avec détail. En attendant, quand vous aurez fini Ozanam, dont j’espère que vous êtes contente, et qu’il vous faut déguster, je vous prie de vous mettre à lire d’un bout à l’autre les œuvres de Lacordaire : il n’y en a que six volumes, dont quatre de conférences.

Si vous n’en êtes pas ravie, alors... je ne vous aimerai plus ; mais je n’en suis pas bien sûr : ce qui est certain, c’est que je n’y comprendrais rien. Toutefois, vous me direz toujours la vérité, n’est-ce pas ? Ma femme et ma fille sont on ne saurait plus touchées de votre affectueux souvenir : elles raffolent toujours de la Hongrie et surtout de l’oncle Steffy dont la charmante lettre à ma femme a été aussi bien accueillie que la vôtre. J’ai pris pour moi une de vos photographies, la moins désagréable, ce qui ne veut pas beaucoup dire, car j’aurais eu bien de la peine à vous reconnaître. Ma fille aînée, la jeune mère, a été toujours souffrante depuis ses couches ; nous l’attendons le mois prochain ici, où elle rencontrera l’évêque d’Orléans et le général Changarnier, et où nous comptons rester

  1. Le comte Rodolphe Apponyi était alors ambassadeur d’Autriche-Hongrie en Angleterre.