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jusqu’en février. Adieu, chère Comtesse, et au revoir, s’il plaît à Dieu.


La Roche-en-Breny (Côte-d’Or), ce lundi 11 novembre 1861.

Chère Comtesse, votre lettre du 2 m’a, en effet, procuré une grande surprise ; elle m’a de plus affligé et réjoui, affligé en m’apprenant que vous étiez redevenue si souffrante, et réjoui en me laissant entrevoir une chance de vous revoir. Mais quelle chance si petite, si incertaine que j’ose à peine y penser ! Et cependant je n’ai guère fait autre chose, depuis que votre lettre m’est arrivée, malgré une de ces préoccupations auxquelles je suis en proie pour ce pauvre Lacordaire et diverses autres causes.

Ma femme et moi, nous nous ingénions de notre mieux à chercher le moyen de vous faire venir ici. Rien n’eût été plus facile, — avant l’invention des chemins de fer, — car nous sommes sur l’ancienne grande route de Paris à Rome, et il y avait 80 chevaux de poste à notre relais. — Mais aujourd’hui, nous sommes à onze lieues du chemin de fer, et il ne reste pas dans tous les environs un seul cheval de poste. Dans cette mère patrie de la civilisation, il n’y a ni chevaux ni voitures ! Voilà ce que les Magyars asiatiques ne peuvent pas comprendre, et voilà pourtant la triste vérité ! Nous n’avons pour circuler que d’affreuses diligences où vous ne voudriez pas entrer, qui correspondent d’ailleurs avec les trains omnibus et de nuit, puis nos propres voitures à demi découvertes, quatre pauvres chevaux dont deux sont boiteux, et par conséquent incapables d’aller vous chercher à cette distance.

Je vous expose avec confusion toute notre misère. Cependant si nous étions dans la belle saison, si les jours étaient encore longs, si surtout il faisait chaud, nous aurions expédié des chars à bancs et au besoin des charrettes en assez grand nombre pour vous faire franchir, tant bien que mal, ces 22 lieues (aller et retour) et nous aurions ainsi goûté le plaisir si vif et si imprévu de vous posséder sous notre modeste toit. Mais c’est surtout la question du climat et de la maison qui, vu l’état de votre santé, me condamne à renoncer à ce bonheur. Notre Morvan est remarquablement froid, et notre maison n’a pas de calorifère. Nous sommes habitués à nos grandes cheminées alimentées