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au moins, que la Cour pontificale fonctionnera dans cette splendeur incomparable qui lui est propre. Je n’admets pas un instant que le Pape veuille rester à Rome avec Victor-Emmanuel et consacre, même par sa résignation, le triomphe du sacrilège. Je regarde donc son prochain départ de Rome comme inévitable, et alors Rome déshonorée devra être évitée par tout catholique comme un mauvais lieu.

Je vous ai adressé un de mes meilleurs amis, M. Augustin Cochin, qui m’écrit qu’il vous a déjà vue et entretenue : vous ne sauriez, chère Comtesse, le trop rechercher. Je ne crains pas de vous affirmer qu’il est l’homme le plus distingué de sa génération, le vrai catholique ferme, intelligent, dévoué et éclairé, comme il en faut aujourd’hui. Il ne lui manque aucune qualité. Je suis très impartial en lui décernant ce suffrage, car sur plusieurs points nous ne pensons pas de même. Il est un peu trop moderne pour moi, du moins pour mon cœur, pas pour ma raison, qui lui donne raison contre moi-même. Je suis trop vieux pour n’avoir pas une certaine faiblesse d’habitude à l’endroit de la royauté et de l’aristocratie ; mais je sais et je vois que tout cela est condamné à disparaître irrévocablement, bien moins encore par la terreur révolutionnaire que par la stupidité morale et intellectuelle des princes et des nobles..

Le pouvoir temporel des Papes lui-même ne survivra, — s’il survit, — qu’à la condition d’une transformation radicale. Causez de tout cela avec M. Cochin : personne n’est mieux à même de vous éclairer sur cet avenir, qui doit tant vous intéresser à cause de vos fils. Je crains toujours que vos idées trop absolutistes ne produisent sur vos fils un effet diamétralement opposé à celui que vous désirez. Je viens de voir ce singulier résultat au sein de ma famille. Mme de ***, que vous connaissez peut-être et avec qui votre oncle Etienne s’est trouvé à Blankenberg, excellente et très intelligente du reste, a toutes vos passions anti-libérales. Elle s’est appliquée à les faire partager à ses enfans, Elle n’a réussi que pour sa fille. Son fils a complètement échappé, quoique élevé à la maison et avec les plus grandes précautions, mais par le seul fait de l’exagération des théories et des frayeurs de la mère.

Vous m’en voudrez, chère Comtesse, de ces observations, de ce retour sur un sujet que je crois avoir déjà abordé avec vous ; mais vous auriez tort de m’en vouloir, car je ne saurais