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vous donner une meilleure preuve de mon affection qu’en vous prévenant du danger que vous courez. Je vous aime assez pour risquer de vous déplaire, dans l’intérêt de ces chers enfans où vous avez concentré naturellement tout l’intérêt de votre vie et chez qui vous risquez de trouver le plus franc mécompte, si vous ne vous appliquez pas à leur faire enseigner le catholicisme avec toutes les aspirations légitimes de la société moderne et même du patriotisme magyar. Je n’ai pas avec moi votre dernière lettre ; mais je suis bien sûr d’y avoir remarqué quelques sentimens, qui m’autorisent à vous parler comme je le fais. Si vous reconnaissiez dans mon langage autre chose que la sympathie la plus désintéressée, vous me feriez grand tort. Je dis désintéressée, car je n’éprouve aucune envie de vous convertir : au contraire, vos dissentimens animent notre correspondance et me font d’autant plus apprécier l’honneur que vous m’avez fait en témoignant une bienveillance si active... à un libéral incorrigible tel que moi.

J’ai été blessé de votre froideur pour le Père Lacordaire ; j’espérais vous avoir touchée par mes récits sur lui et surtout par les extraits merveilleux de ses discours et de ses lettres. Il s’est plus d’une fois trompé, surtout en politique, comme nous nous trompons tous ; mais c’était ce qui manque le plus dans les rangs catholiques, c’était un homme, et quel cœur ! et non pas des fanatiques sans énergie comme sans esprit, courtisans d’un Césarisme idéal comme tous ceux qui, à Rome ou à Paris, respirent et admirent cet infect Parfum de Rome[1] qu’on vient de me faire lire, — en même temps que l’Église devant la Révolution par Crétineau-Joly, autre produit du même panier pour moi. J’aime surtout à lire les œuvres de mes adversaires, car cela est beaucoup plus utile et instructif que de se nourrir uniquement de ce qu’on approuve ; mais je suis sorti de cette double lecture avec une répugnance invincible.

Il m’a déplu que vous figuriez, sous le titre de la Comtesse (car c’est bien vous, je pense) dans cet affreux volume où Socrate et ensuite Dante sont tour à tour insultés, où l’on maudit jusqu’à la photographie au nom de la religion, et qui semble fait exprès pour détourner les catholiques d’avoir le sens commun et pour dégoûter les honnêtes gens d’être catholiques.

  1. Œuvre de Louis Veuillot.