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beauté[1], » et en l’honneur duquel il entonnait récemment un véritable dithyrambe, et La Fontaine, qu’il a commenté si finement, et qu’il a proclamé « le plus Français de nos poètes[2]. » Le dirai-je ? Je ne suis pas sûr que ce classicisme foncier ne puisse être accusé de quelque étroitesse. Il y a d’autres classiques que ceux que M. France idolâtre ! Je ne me souviens pas que jamais il ait parlé de Bossuet écrivain comme Sainte-Beuve lui-même en a plus d’une fois parlé ; il ne me semble pas qu’il admire Molière aussi profondément que l’auteur des Lundis l’admirait[3], et s’il reconnaît « la perfection de l’art » dont témoignent les Provinciales, c’est pour tenir, aussitôt après, sur l’apologiste des Pensées, des propos bien étranges[4]. Il a sur Corneille des mots d’une ironie un peu bien dure, et, à mon gré, injuste, et dire du « bonhomme » qu’il n’est, près de Racine, « qu’un habile déclamateur[5], » c’est peut-être pousser un peu bien loin l’amour du naturel et de la commune vérité psychologique. La grandeur est aussi dans la nature, et, sous prétexte d’atticisme, il ne faut pas la proscrire de l’art.

Ce fond du tempérament littéraire explique assez bien l’attitude qu’a prise M. France à l’égard des diverses écoles qui se sont succédé chez nous depuis la fin du XVIIe siècle. Du XVIIIe siècle il accepte et goûte à peu près tout, sauf Rousseau, qu’il ne peut sentir ; et l’on sait qu’il est nourri de Voltaire, de Diderot et des petits romanciers leurs contemporains. S’il n’aime pas ce « Jean fesse[6] » de Rousseau, c’est que celui-ci est le père du romantisme, c’est qu’il est en grande partie responsable de ce débordement d’imagination et de sensibilité qui, plus d’un demi-siècle durant, va envahir la littérature, et qui offusque sa claire, mesurée et peut-être un peu courte raison classique. Parmi les grands poètes romantiques, sa sympathie va à ceux que le classicisme pourrait le plus aisément revendiquer, à Lamartine, à Musset, à Vigny. Au contraire, et à plus d’une reprise, il a été

  1. L’Homme libre, 5 mai 1913.
  2. Temps du 7 octobre 1888. Cf. Fables de La Fontaine, avec une Notice sur La Fontaine et des notes par Anatole France. Lemerre, 1883 (p. XII, XXXIX, XLIII-XLIV).
  3. « O doux et grand Racine... Je ne sais si Molière lui-même est aussi vrai que vous. » (L’homme libre, art. cit.)
  4. La Vie littéraire, t. IV, p. 215-222.
  5. L’homme libre, art. cit. — Cf. Vie littéraire, t. IV, p. 112-113.
  6. Les Dieux ont soif, p. 148.