Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très dur pour Hugo : « Victor Hugo est démesuré parce qu’il n’est pas humain... Il vécut ainsi de sons et de couleurs, et il en soûla le monde[1]. » Dans son opuscule sur Vigny, il disait déjà d’Olympio : « Le sang bouillonne avec trop de fracas dans sa tête, pour que ses oreilles puissent percevoir au milieu de ce vacarme intérieur les bruits du passé. » S’il s’est enrôlé dans le Parnasse, c’est que la nouvelle école avait, par réaction contre le romantisme, restauré plus d’un des principes de l’art classique, entre autres ce culte de la forme dont il ne s’est, pour sa part, jamais départi. Et, d’autre part, il a traité sans indulgence les naturalistes, — exception faite pour le classique Maupassant, — et les décadens. Mais comment, tel que nous le connaissons, aurait-il pu goûter le « gros talent, » les truculences et les grossièretés d’un Zola, ou les écrivains à demi barbares qui menaçaient de troubler dans son cours la limpide clarté du génie français ?

C’est dans ces dispositions d’esprit que M. France a examiné et jugé, — car il juge, plus souvent qu’il ne prétend, — les productions contemporaines ; c’est au nom de cet idéal d’art qu’il rejette « hors de la littérature, » — on se rappelle avec quelle terrible ironie, — les romans de M. Ohnet, ou qu’il exalte les livres de Renan. Mais comme il est d’esprit très souple, et qu’il se pique volontiers de tout comprendre, il a fini par accepter et presque par goûter quelques-unes des formes d’art auxquelles il avait été d’abord le plus réfractaire. Après avoir médit du symbolisme, il ira jusqu’à prendre plaisir aux vers de Mallarmé. Après avoir, dans un article célèbre, dit de Zola : « Son œuvre est mauvaise, et il est un de ces malheureux dont on peut dire qu’il vaudrait mieux qu’ils ne fussent pas nés, » il s’est peu à peu accoutumé à l’odeur des écuries d’Augias, et, avant même les apologies trop intéressées d’aujourd’hui, — M. G. Michaut l’a fort bien montré, — « regrettant un peu ses colères, » il rendait justice au talent du romancier, à « sa brutale épopée pleine de grands tableaux. »

C’est que le dogmatisme intransigeant et sectaire, celui-là même qui traduit le plus spontanément ses manières naturelles de penser et de sentir, — n’est pas une attitude, nous l’avons déjà observé, où M. France se guindé très longtemps. Il est

  1. Vie littéraire, t. Ier, p. 115. — Cf. Alfred de Vigny, p. 49-50.