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est que Paphnuce a voulu arracher Thaïs à son existence de désordres et de voluptés, et qu’il s’est, par ascétisme chrétien, condamné lui-même à ne pas prendre sa part de « la fête de la vie. » Seulement, cette intention, si c’est bien celle qui, au total, inspire et résume le livre, n’apparaît pas clairement dans le cours de l’ouvrage qui reste obscur et énigmatique. Et puis, quelle idée singulière, et, moralement, un peu pauvre ! Ah ! M. France n’est pas tendre pour ceux qui se refusent à suivre la « nature ; » et il est décidément moins indulgent au pauvre Paphnuce qu’il ne l’a été, jadis, à l’abbé Prévost, et qu’il ne va l’être bientôt à maître Jérôme Coignard.

M. l’abbé Jérôme Coignard, « docteur en théologie, licencié es arts, » est, comme l’on sait, le héros de la Rôtisserie de la reine Pédauque (1893), et c’est l’une des créations, sinon les plus originales, tout au moins les plus vivantes de M. France. Cet ancien régent du collège de Beauvais, à la parole subtile, abondante et fleurie, prêtre intermittent, ivrogne, gourmand et libertin, qui a été successivement colporteur, comédien, moine, laquais, et qui, après mille aventures, meurt assassiné par un juif dont il a aidé à enlever la nièce, est l’un des deux ou trois personnages dans lesquels l’auteur de Thaïs a mis toutes ses complaisances. S’il n’a pas, à proprement parler, voulu se représenter lui-même sous les traits, un peu bien rabelaisiens, du bon maître de Jacques Tournebroche, il est sûr qu’il lui a prêté nombre de ses idées et de ses propos familiers. Et ces idées ne sont pas toujours justes, ni ces propos toujours édifians. D’autre part, les histoires de magie auxquelles sont mêlés Jérôme Coignard et son disciple sont bien longues et bien dénuées d’intérêt. Mais, malgré tout cela, malgré toutes les imitations livresques qu’on a relevées dans la Rôtisserie[1], et toutes celles qu’on y relèvera encore, le roman est très intéressant, au moins par places, et il reflète avec une singulière fidélité la personnalité de son auteur. Sous le voile d’une fiction transparente, cette âme de volupté et d’anarchie s’y exprime à nous tout entière. On ne saurait contempler et conter avec une complaisance plus encourageante et plus approbative les exploits de Jeannette la vielleuse,

  1. Voyez à cet égard, dans la Grande Revue du 25 novembre 1911, l’article de M. J.-E. Morel sur Une source de la Rôtisserie, dans la Grande Revue encore du 25 décembre 1912 et du 10 janvier 1913, les articles de M. Léon Carias sur Quelques sources d’Anatole France, et le livre déjà cité de M. G. Michaut, p. 161-168.