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reprendre l’esprit et quelquefois la lettre elle-même. L’attention de Cavalieri, son intérêt, s’étend jusqu’aux dimensions et à la forme de la salle de spectacle, au nombre des spectateurs. Ceux-ci ne devront pas être plus de mille, assis à l’aise et silencieux. (De ces trois conditions, il ne paraît pas, encore aujourd’hui, que les deux premières soient les plus difficiles à remplir.) « Les salles trop vastes sont d’une mauvaise acoustique ; elles obligent le chanteur à forcer sa voix et tuent l’expression. D’ailleurs, quand on n’entend pas les paroles, la musique devient ennuyeuse[1]. » Cavalieri s’occupe aussi du nombre des instrumens, et veut qu’il soit en rapport avec les dimensions de la salle. (On ne ferait pas mal, non plus, aujourd’hui toujours, de le proportionner à l’œuvre qu’on exécute.) L’invisibilité de l’orchestre est également recommandée, ou prescrite. Sous le prétexte qu’ils jouent, pour ainsi dire, en musique, les acteurs ne devront pas se dispenser de jouer. Autant que leur chant, ils soigneront leur démarche et leurs moindres pas, « che sono aiuti molto efficaci a muovere l’affetto. » Ils prononceront les paroles de façon qu’elles soient entendues. Les chœurs enfin suivront l’exemple des personnages principaux. Par leurs gestes, par leurs mouvemens, au besoin par leur silence attentif, ils auront l’air non seulement d’être présens à l’action dramatique, mais d’y participer. Enfin la durée du spectacle est prévue et limitée. Elle ne devra pas excéder deux heures. Ce dernier conseil n’est pas le moins sage de tous. Nous ferions bien de le méditer et de le suivre encore. Deux heures au théâtre, deux heures de musique surtout, trois au plus, suffiraient. En deux ou trois heures, un chef-d’œuvre lyrique, un Orphée, un Don Juan, un Freischütz, peut tenir.

Cavalieri a conformé strictement son œuvre à ses principes. Théâtrale par la façon dont le sujet est compris non moins que par la mise en scène ou la machinerie, cette œuvre est réellement l’ébauche d’un opéra sacré, mais d’un véritable opéra. Musicalement, elle est écrite dans le style alors nouveau, récitatif plutôt que mélodique, où la déclamation domine, où le chant néanmoins commence à se dessiner. Quant à la polyphonie vocale, déchue de son ancienne splendeur, elle apparaît ici volontairement atténuée, mais non pas éteinte. Une seule chose étonne, comme un manquement à l’art dramatique, mais se comprend, comme la marque d’un art encore primitif : c’est le caractère abstrait des personnages. Les deux principaux sont l’Ame et le Corps. Entre l’un et l’autre, entre les deux parties ou les deux élémens

  1. Cité par M. Romain Rolland