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avec quelle contrition sincère, et vraiment toute « chrétienne, » il s’accuse d’être un « pourceau, » tout en se sachant incapable de sortir jamais entièrement de la « fange » où il se dit plongé.

Et n’est-ce pas aussi à la manière d’un enfant que Boccace s’enthousiasme tour à tour et s’irrite dans ses amitiés, accablant d’invectives furieuses des hommes qu’il s’était plu, la veille, à tenir pour des saints ? Ne va-t-il pas jusqu’à injurier ce Pétrarque vénéré qu’il s’est pourtant accoutumé à chérir d’une affection infiniment pieuse, comparable seulement au culte frémissant d’un collégien pour la personne transfigurée d’un grand poète ou d’un grand orateur ? Le « divin » Pétrarque n’a pas cru devoir refuser l’hospitalité que lui offraient les Visconti de Milan, chefs gibelins profondément détestés des guelfes de Florence : et aussitôt voilà Boccace lui écrivant une lettre terrible, où il lui dit notamment que, devant une telle conduite, les anciens amis du poète ne peuvent plus que « rougir de honte, et condamner ses actions, et chanter, ouvertement ou bien entre soi, ces vers de Virgile :


«... Quid non mortalia pectora cogis
Auri sacra fames ?... »


Lettre que Pétrarque lui-même aurait été hors d’état d’excuser, s’il l’avait reçue d’un homme sérieux et mûr, pleinement responsable de ses éclats de colère. Mais le poète, — ses lettres en font foi, — connaissait trop le pauvre « Jeannot de Paris » pour pouvoir se fâcher un seul instant contre lui. Il éprouvait à son endroit un mélange tout particulier d’admiration et comme de pitié, ou plus exactement d’indulgence paternelle. Il n’y avait pas jusqu’aux « légèretés » de son Décaméron qu’il ne lui pardonnât, avec l’affectueuse bonté d’un père résolu d’avance à ne s’offenser d’aucune des « frasques » d’un garçon dont il sait la « mauvaise tête » et le cœur excellent. Et Boccace, de son côté, avec quelle humble et charmante effusion il rend hommage à la sagesse impeccable de son glorieux ami ! Il ne peut penser à lui sans que des larmes de vénération et de gratitude lui viennent aux yeux, — de ces larmes discrètes dont il nous dit lui-même qu’elles sont « un signe d’humanité, et la marque d’un cœur passionné. » « Les nombreux bienfaits de votre beau-père, — écrira-t-il au gendre de Pétrarque, en apprenant la mort de celui-ci, — m’ont assez prouvé combien il m’aimait de son vivant ; et voici que je le vois clairement une fois de plus, puisque cet amour s’est poursuivi jusqu’à la mort de messire François ! Et que si, après ce départ vers une vie meilleure, que nous appelons la mort, les amis conservent le pouvoir de s’aimer, j’ai la