est certain qu’il s’est beaucoup contredit. Nous-même, sur plus d’un point important, avons dû l’opposer à lui-même, et si nous avions mis la moindre malice à nous amuser à ce jeu, comme nous aurions pu nous y livrer plus souvent ! Mais quoi ! quel est l’homme, quel est le logicien même qui ne s’est jamais contredit dans sa vie ? Et n’est-ce pas Pascal qui a déclaré que « la contradiction n’est pas marque infaillible d’erreur ? » Et puis, à y regarder d’un peu près, je suis très frappé de voir que les esprits à qui l’on a fait une réputation, d’ailleurs justifiée, de dogmatisme, — un Bossuet, un Taine, un Brunetière, — sont justement ceux dont la pensée est, au fond, sinon le plus flottante, tout au moins le plus variable, tandis que les esprits réputés ondoyans, — un Fénelon, un Renan, — sont ceux qui, au total, varient le moins. Sur ce point encore, M. France ressemble à Renan, dont le « discours fluide, » — comme il l’a dit d’un mot qui s’appliquerait si bien à lui-même, — recouvre, en fait, une pensée si ferme, et même si obstinée. M. Anatole France s’est contredit souvent, j’y consens : mais a-t-il jamais célébré l’avènement du christianisme comme un fait heureux de l’histoire humaine ? a-t-il jamais fait l’apologie de l’ascétisme ? a-t-il jamais condamné la volupté ? Et assurément, il a évolué, mais beaucoup moins qu’on ne l’a dit ; et c’est le ton de ses ouvrages qui a évolué, bien plutôt que le fond de sa pensée. Je l’ai déjà indiqué, et je le répète avec insistance : plus je creuse en M. France, plus je trouve en lui un fils du XVIIIe siècle, un héritier direct du « bon » Denis Diderot. « Le fond de M. France, a très bien dit M. Faguet, c’est l’horreur du merveilleux, l’horreur du surnaturel, l’horreur, pour parler cru, des religions. Or, en son temps de nonchalance, il détestait tout cela autant qu’aujourd’hui. Toute la différence, c’est qu’il le détestait sournoisement. Sa plus grande volupté intellectuelle d’alors, c’était de raconter des histoires religieuses, en y glissant des sourires d’impiété discrets et élégans. » Et quand je songe à ses tout premiers écrits, — ceux d’avant 1870, — à quelques-uns de ses vers, aux insinuations, aux déclarations qui lui échappaient, même « en son temps de nonchalance, » à l’âpreté, à la violence multipliée des négations dont il a émaillé ses livres et ses discours depuis vingt ans, à sa Jeanne d’Arc enfin, je ne puis m’empêcher de donner pleinement raison à M. Faguet.
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