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Je n’ai pas à discuter, ç réfuter ici les opinions religieuses, ou plutôt irréligieuses, de M. Jérôme Coignard. Si je le faisais, je ne croirais pas pouvoir mieux faire que de reprendre et de développer une page inédite de Brunetière sur Diderot. Elle daté de 1880, cette page ; elle est donc d’une époque où, travaillant sur l’Encyclopédie, Brunetière, simple historien et « philosophe, » n’avait encore pris position ni sur la question religieuse, ni contre M. France :


Eh bien ! — s’écriait-il, — supposons un instant que Diderot ait raison ; supposons qu’au XVIIIe siècle il ait eu le droit de ne voir dans le christianisme qu’un amas de « superstitions impertinentes, » et de « pratiques abominables ; » allons plus loin, suivons-le jusque dans cette honteuse dérision de l’Évangile, et supposons un instant avec lui que dix-huit siècles de christianisme aient tiré leur origine d’une fable enfoncée dans la mémoire des hommes par la violence et la brutalité ; rien n’est plus contraire à la vérité de l’histoire, on le sait ; mais n’importe, accordons-lui comme à Voltaire tout ce qu’ils nous demandent ; ils n’oublient qu’un point, un seul point, et ce seul point est tout : c’est que, dix-huit cents ans, ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, ce qu’il y a de plus gracieux, comme ce qu’il y a de plus héroïque, ce qu’il y a de plus humble comme ce qu’il y a de plus fier, est venu se greffer sur cette tige...


Oui, voilà ce que n’explique pas l’Ile des Pingouins elle-même.

Mais, encore une fois, nous essayons de définir M. France, nous ne le discutons pas. Et, à cet égard, tout persistant qu’il soit, je me demande si son antichristianisme est bien son fond véritable, ou plutôt encore son tréfond, et s’il ne procéderait pas lui-même d’une disposition plus générale et. plus permanente qui nous expliquerait tout entier l’auteur de Thaïs. A la question ainsi posée, il n’y a, je crois, qu’une réponse. On se rappelle la page célèbre où Montaigne fait l’éloge de la volupté : «... Quoi qu’ils en disent, en la vertu même le dernier mot de notre visée, c’est la volupté. Il me plaît de battre leurs oreilles de ce mot qui leur est si fort à contre-cœur... » Est-ce que ce ne pourrait pas être la devise de M. France ? et puisqu’on l’a souvent rapproché de Montaigne, est-ce qu’il ne pourrait pas emprunter cette épigraphe au vieil écrivain ? Le poète des Noces corinthiennes nous l’a dit d’ailleurs, ou laissé entendre plus d’une fois, il nous le crie par toute son œuvre : sa faculté maîtresse est la volupté. « Je puis dire que mon existence ne fut qu’un long désir, » écrivait-il hier encore. De là son style où, dans les meilleures pages,