Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/800

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pittoresques calvaires et de vieux cimetières, nous venons nous grouper, artistes et écrivains de toutes croyances, sans distinction de partis, qui avons trouvé auprès de ces modestes sanctuaires tant d’émotions et de sensations d’art, pour protester et demander au Parlement qu’une protection analogue à celle des monumens historiques, des sites pittoresques et des réserves artistiques, leur soit attribuée. Nous voulons conserver ces restes du passé, ces sources de vie spirituelle ; nous voulons sauvegarder la physionomie architecturale, la figure physique et morale de la Terre de France... »

Ces quelques phrases exprimaient bien notre émotion commune ; les deux frères partirent aussitôt par la ville.

Chaque matin, pendant des semaines, l’un d’eux, le cadet le plus souvent, venait me trouver, m’apportait des noms, me disait les bons accueils et aussi les pusillanimités qu’il rencontrait. Le ruban rouge sert à signaler l’honneur acquis, mais il ne sert pas toujours à le faire surgir. Ah ! ce que la perspective d’une décoration peut entraîner de calculs et de pauvres craintes ! Que va dire le gouvernement si je signe en faveur des églises ! Ne paraîtrai-je pas clérical ? Cette commande que je sollicite, ne va-t-on pas me la refuser ? Les deux frères s’indignaient, mais ne se décourageaient pas. Bien leur en prit. Après quelques jours de flottement, l’élan se dessina irrésistible. L’Académie Française, l’Académie des Beaux-Arts, l’Académie des Sciences morales, l’Académie des Inscriptions, l’Institut quasi à l’unanimité, s’inscrivirent, et la foule des artistes suivit, peintres, sculpteurs, architectes, archéologues, compositeurs de musique, littérateurs, tous les conservateurs de nos musées, tous les noms glorieux de la France, et puis les sociétés archéologiques, les académies de province, un grand nombre de lycées et de corporations d’étudians, le Touring-Club, bref, tous les groupemens qui se donnent pour tâche d’élever le niveau intellectuel du pays.

Ces adhésions éclatantes arrivaient par liasses de tous les coins de l’horizon. Nous ne suffisions pas à la tâche d’ouvrir et de dépouiller les enveloppes. Auprès de ses deux fils, Mme Buffet, la mère, recopiait les listes que nous donnions au fur et à mesure aux journaux. Juste à la fin de ce travail, la noble femme mourut. Je n’ai jamais eu l’honneur de rencontrer Mme Buffet ; je veux inscrire ici son nom avec mon hommage