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familles importantes des races païennes. Ils ont substitué, peu à peu, aux musulmans des princes animistes ou, comme on dit vulgairement, des fétichistes. Pourtant, ce dernier terme est impropre. Car le noir, en général, s’explique monothéiste et panthéiste. Il suppose que l’esprit de création, l’esprit des énergies naturelles est partout répandu, indistinct presque de ses œuvres, et qu’il se manifeste tantôt en celle-ci, tantôt en celle-là, qu’on peut nommer fétiches ; mais sans y attacher un sens différent de celui que nous attribuons aux reliques, aux scapulaires, aux images des saints, aux églises, aux emblèmes et symboles. Il semble même bizarre que ces monothéistes n’aient pas accepté, en plus grand nombre, le culte d’Allah et la vénération du Prophète, après deux mille années de prosélytisme souvent guerrier, souvent dominateur. Seuls à peu près les Songaïs se convertirent au total. Et encore, au commencement du XVIe siècle, Léon l’Africain les a-t-il trouvés, dans Tombouctou, païens presque tous, alors que leur aristocratie berbère, Armas et Dias, observaient, depuis le XIe siècle, la loi du Coran. Aujourd’hui, ces douze mille et, en certaines saisons, vingt mille citoyens de Tombouctou, sémites, berbères et songaïs, professent la religion musulmane pareillement. Ici du moins la leçon des cheiks, imans et marabouts a persuadé.

D’abord, il parut redoutable à notre administration de ne pouvoir agir, en aucune manière, sur les mœurs religieuses de cette capitale, règles de la vie publique. Bien que très heureux de savoir leur vie dérobée aux menaces des Touareg et des Peuhls, leur négoce protégé contre tant d’exactions, les citadins ne s’empressèrent pas d’admettre sincèrement l’influence latine dans l’intimité de leurs existences. Ils restèrent défians. Ils se refusèrent d’envoyer leurs fils à l’école française, sauf quelques-uns trop directement intéressés à nous complaire.

Vouloir lutter contre cet islamisme de Tombouctou qui avait, au IIIe siècle, fondé toute la vie intellectuelle et morale, développé l’action économique, et réuni les diverses faces en concurrence auteur du Puits-de-la-Vieille, autour de Djinguer-Ber et de Sancoré, c’eût été puéril. Très habilement, M. Clozel préféra fonder, auprès de l’école française, une Medersa, l’université coranique. Afin de ne pas laisser naître un doute même, il choisit comme professeurs les deux imans le plus en honneur parmi les dévots des mosquées.