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lui ait rendu les personnes trop odieuses. Mais il n’en faut point venir là, si l’on peut, ni faire rire et pleurer dans une même nouvelle. » Malheureusement, l’éternel badinage sur les maris trompés, outre qu’il déforme l’image de la vie et finit par rendre les personnes odieuses, ne produit pas l’unité de ton que recherche La Fontaine : il n’aboutit qu’à la monotonie.

L’unité est bien plutôt dans ce ton de la causerie, une des plus grandes originalités de ses Contes et de ses Fables. A chaque instant, sa personnalité intervient au milieu de son récit, tantôt pour placer une réflexion morale ou immorale, tantôt pour confesser un de ses goûts. Il vit familièrement avec ses personnages. Il les blâme, les approuve, les encourage, sourit de leurs manigances, s’associe à leurs craintes, entremêle leurs aventures de retours sur lui-même. Dans la Courtisane amoureuse, Camille, désireux de savoir jusqu’où iront la patience et l’amour de Constance, se fait déchausser par elle. Le poète prévoit chez son lecteur un sursaut d’étonnement ou d’incrédulité.


Quoi ! de sa main ? Quoi ! Constance elle-même ?


Il y répond délicieusement :


Qui fut-ce donc ? Est-ce trop que cela ?
Je voudrais bien déchausser ce que j’aime.


Ce sont là des traits exquis, comme il en fourmille dans les Fables, et dont aucun de ses devanciers ne lui a donné le modèle.

Mais en quoi cette unité de ton l’empêcherait-elle « de rire et de pleurer dans la même nouvelle ? » On ne voit point qu’il l’ait compromise en écrivant, la Courtisane amoureuse et le Faucon, les deux seuls contes où il se soit attendri. Lorsque Clitie, dont l’enfant malade désire le faucon de Frédéric, vient prier cet homme, qui s’est ruiné pour elle et qu’elle a toujours éconduit, de lui abandonner le seul bien qui lui reste, son oiseau, et lorsqu’elle met au service de son amour maternel toute son adresse de femme :


Vous savez bien par votre expérience
Que c’est d’aimer : vous le savez, Seigneur !


l’unité de ton, si chère au poète, est-elle rompue par ces accens dignes d’Andromaque ? Dans l’admirable scène de la Courtisane