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malices, son exquise politesse ne doivent point nous aveugler sur l’énergie foncière de son génie. Lisez la Matrone d’Éphèse : comparée à celle de Pétrone, la supériorité n’en est pas seulement dans la vie des trois personnages, mais dans cette allégresse impitoyable qui circule d’un bout à l’autre du récit et qui n’épargne ni le faste de nos deuils, ni les conventions morales, ni même le respect de la mort :


Elle écoute un amant, elle fait un mari.
Le tout au nez du mort qu’elle avait tant chéri…
Mieux vaut goujat debout qu’Empereur enterré !


La même joie drue éclate dans la fable où le Milan vient imprimer sa griffe sur le nez du Roi.


Quoi, sur le nez du Roi ? Du Roi même en personne.
Il n’avait donc alors ni sceptre ni couronne ?
Quand il en aurait eu, ç’aurait été tout un.
Le nez royal fut pris comme un nez du commun.


C’est en vain qu’on rappelle le maudit animal. On crut qu’il nicherait là jusqu’au lendemain.


Et sur le nez sacré voudrait passer la nuit.


Tous de rire, monarque et courtisans, et La Fontaine avec eux ;


Qui n’eût ri ? Quant à moi,
Je n’en eusse quitté ma part pour un empire.
Qu’un pape rie, en bonne foi,
Je n’ose l’assurer ; mais je tiendrais un roi
Bien malheureux, s’il n’osait rire.
C’est le plaisir des Dieux, Malgré son noir sourci,
Jupiter et le peuple immortel rit aussi.
Il en fit des éclats, à ce que dit l’histoire,
Quand Vulcain clopinant lui vint donner à boire.


Cet art robuste, cette riche gaîté qui, moins contenue, irait jusqu’à l’enivrement d’elle-même, nous font songer à du Rabelais, mais à un Rabelais qui aurait été décanté, à un Rabelais transparent et doré, servi sur la table de La Rochefoucauld.


J’aimerais une édition de La Fontaine, où ses meilleures fables seraient entremêlées à ses meilleurs contes. Les contes y perdraient de leur monotonie ; les fables y gagneraient de ne