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on ignorait à quel degré de force et d’éclat elle pouvait s’élever. On le savait d’humeur accommodante, qui se pliait aux circonstances avec souplesse, mais on ignorait quelle rectitude dans la pensée et quel courage dans la conduite le sentiment du devoir envers le pays pouvait lui donner en face d’une grande responsabilité. M. Barthou sort grandi de l’épreuve qu’il vient de traverser, et il a des chances sérieuses de grandir encore davantage par la comparaison qui s’établira entre lui et ses successeurs. Nous allons voir ceux-ci à l’œuvre : on s’apercevra alors qu’il est plus facile d’arracher un mauvais vote à la Chambre sur une question qu’elle comprend mal, que de résoudre les difficultés du lendemain. La faiblesse de son ministère venait de ce que M. Barthou était médiocrement entouré et qu’il devait toujours être sur la brèche. Certains de ses collègues étaient notoirement insuffisans. Quand le ministère a été constitué et qu’on a vu M. Charles Dumont aux Finances, la surprise a été générale. On savait déjà que notre situation financière était des plus embarrassées. Il était facile de prévoir que M. Caillaux profiterait du double avantage que lui donneraient sa compétence spéciale en matière financière et l’incompétence relative du ministre qui lui serait opposé. M. Charles Dumont a beaucoup travaillé pour s’instruire, il a montré une grande bonne volonté, il a fait de son mieux et a présenté à la Chambre des propositions raisonnables ; mais, dans le corps à corps avec M. Caillaux, il n’était pas de force à résister.

Il y a eu deux batailles successives, l’une contre l’emprunt, l’autre contre l’immunité de la nouvelle rente. Dans la première, le gouvernement a commis une faute de tactique, qui indiquait de sa part une volonté un peu hésitante. Il avait demandé l’autorisation de faire un emprunt de 1 300 millions : des amis bien intentionnés lui ont dit que ce n’était pas assez et que l’emprunt devait s’élever au moins à 1 500. Peut-être avaient-ils raison, mais en le reconnaissant, le gouvernement se donnait à lui-même le tort d’avoir mal calculé. Il a accepté les 200 millions de surcroît qu’on lui offrait, et M. Dumont les a défendus à la tribune ; puis, au moment du vote, sentant la majorité branlante, M. Barthou a lâché les 1 500 millions pour revenir aux 1 300, en disant qu’il posait la question de confiance seulement sur le second chiffre, et non pas sur le premier. Une Chambre qui ne se sent pas conduite plus fermement est bien près de se débander. Les 1 500 millions ont été repoussés à une majorité très forte et les 1 300 votés à une très faible. À partir de ce moment, il a été visible que la situation du gouvernement était compromise, et M. Caillaux, encouragé par ce vote