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versification. Il a jadis écrit quelques vers, quelques alexandrins, et fait hommage comme d’autres à la vieille discipline. Mais il a trouvé ce mode trop rigide pour contenir la vie abondante et mouvementée qu’il lui fallait y presser, et il a adopté cette large prose très appuyée qui s’étend jusqu’à trois lignes ou se resserre jusqu’à une seule syllabe suivant la psychologie du moment.

Le jeune Cébès au début de Tête d’Or arrive dans la solitude des champs à la fin de l’hiver :

« Me voici,

Imbécile, ignorant,

Homme nouveau devant les choses inconnues,

Et je tourne ma face vers l’année et l’arche pluvieuse, j’ai plein mon cœur d’ennui ! »

Tout récemment, parce qu’on représentait pour la première fois un de ses drames, il a écrit cette explication de son style pour aider les acteurs : « La division en « vers » que j’ai adoptée est fondée sur les reprises de la respiration, découpant pour ainsi dire la phrase en unités non pas logiques, mais émotives. ! Quand on prête l’oreille à quelqu’un qui parle, on entend qu’à un point variable vers le milieu de la phrase la voix s’élève, et s’abaisse vers la fin. Ce sont les deux temps et la modulation intermédiaire qui constituent mon vers. »

Il est bien évident que le vers a toujours été une mesure humaine, physiologique. Le temps de la respiration est son temps, l’afflux normal du sang pendant la durée du mouvement respiratoire, le quadruple battement du cœur, en règle les quatre accens normaux. M. Claudel garde, et emploie généralement de la plus belle manière ce rythme qui est l’essence du vers, et la coupure des lignes lui sert justement bien souvent, comme dans les vers, à rendre nécessairement forte, nécessairement « longue, » la dernière syllabe sur laquelle ainsi il retient la résonance. Et cependant pour nous faire saisir combien ces lignes diffèrent du vers par une différence subtile, mais inexorable, il suffit que M. Claudel leur ajoute des rimes. Ces assonances venant à la fin de versets étirés m’ont toujours semblé pénibles, et au lieu de les attendre comme un bel écho, on les redoute comme un mauvais hasard. Ce qui ajoute tant au vers diminue cette prose, car forcément la recherche de l’assonance tire à soi le sens de la phrase et on craint de penser qu’elle le dirige.

Mais que si, au contraire, on veut tenir pour l’instrument