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graine de fougère, » devenue vieille et connaissant son propre cœur, dit aux hommes qui ne l’ont point comprise :


« Nul ne connaît le secret de ma joie, ni eux, ni les autres, ni vous-même.

Coeuvre lui-même, bien qu’il soit le seul homme qui ait eu de moi possession

(Et tu es le fruit de notre union, ô roi)

Ne m’a point connue tout entière.

Car son esprit s’attache aux causes et il les rassemble dans la profonde cavité de son esprit…

Mais le délice et ce saisissement

Qu’il y a à sentir qu’on ne tient plus à rien est ce qu’il ne connaît pas encore.

Le vol fixe de la pensée qui comme un nageur soulevé par le courant

Se maintient dans la vibration de la lumière,

Ces coups soudains, ces essors insaisissables, ces départs,

Sont encore ce que tu sais mal, ô pontife[1]. »

Pour ce qui est de l’homme, il donne à la femme les plus doux noms, il la poursuit d’une recherche impérieuse, il connaît que le délice et le tourment qu’elle lui donne sont comme une créance qu’elle a sur lui (par une singulière idée, ce serait par un héritage de la femme que l’homme aurait ce besoin de la femme : ce que la mère adonné, la femme vient le reprendre) ; elle est l’exigence, elle est la demande de la vie. Mais l’homme subit cette exigence et ne la choisit pas ; et de plus il sait que ce qu’il aura acquis avec tant de peine, « l’embrassement de la bien-aimée pareil à un combat contre le cygne » ne lui suffira pas. « La femme est la promesse qui ne peut être tenue. » À la soif humaine la réponse de l’amour est faible. « L’insatiable ne peut s’appliquer que sur l’inépuisable. » La femme est faite pour se donner, l’homme pour recevoir ; mais « l’inépuisable » n’est pas créature. Aux deux facultés de l’homme : l’action et la méditation, l’amour n’est pas une fin.

Et c’est l’éternel malentendu de l’amour, ou au moins une des racines de ce malentendu.

« O amie, je ne suis pas un dieu !

  1. La Ville, p. 307.