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les députés « sur les vœux de la classe ouvrière. » Une réunion préparatoire eut lieu, à laquelle assistèrent des bourgeois qualifiés, représentans de la presse libérale ou républicaine, et dans laquelle deux ou trois au moins prirent la parole, mais pour déplorer cette tendance, funeste à leur avis, des ouvriers à se former en classe distincte et hostile, tendance qu’encourageait parfois même la bienveillance sentimentale, mal dirigée, des autres classes : « Je me révolte, dit le délégué du Siècle, Léon Plée, contre la faute que l’on fait quand on parle de logemens d’ouvriers, de cités ouvrières, d’écoles d’ouvriers (et cela s’adressait plus personnellement à l’Empereur), de représentans des ouvriers, de défenseurs des ouvriers (c’était la part de Tolain et de ses amis). Pourquoi parquer ainsi les ouvriers ? Est-ce que nous ne vivons pas sous le suffrage universel ? Est-ce que nous ne sommes pas tous citoyens au même titre ? » Nefftzer, le rédacteur du Temps, appuya : « Je ne connais pas plus, dans notre France moderne, de classe ouvrière que de classe bourgeoise. » C’est à quoi le Manifeste des Soixante répondit, le 17 février 1864 : « On répète qu’il n’y a plus de classes ; mais nous qui n’avons d’autres propriétés que nos bras ; nous qui subissons tous les jours les conditions légitimes ou arbitraires du capital ; nous qui vivons sous des lois exceptionnelles, telles que la loi sur les coalitions et l’article 1781, qui porte atteinte à nos intérêts en même temps qu’à notre dignité, il nous est bien difficile de croire à cette affirmation. » Et c’est donc à des ouvriers persuadés qu’il y avait toujours des classes, et que la leur était sacrifiée, persécutée ou asservie, que la loi du 25 mai 1864 accorda la liberté de coalition, sans leur accorder d’ailleurs la liberté d’association qui l’eût disciplinée et régularisée. Mais qu’ils en fussent intimement, opiniâtrement persuadés, et que rien ne fût désormais capable, en leur ôtant cette idée de la tête, d’étouffer le mythe naissant, ou plutôt déjà né en 1789, grandi rapidement depuis 1848 ; que 1848, plus que tout, et, plus que tout, en 1848, l’établissement du suffrage universel, aient confirmé dans cette conviction « la classe ouvrière, » là-dessus il n’y a point de doute. M. Levasseur, fils d’un artisan parisien, dont le témoignage prend ici la valeur d’un témoignage direct, note expressément :


Le sentiment de la dignité personnelle s’était développé chez l’ouvrier, à la campagne comme à la ville. Avant 1789, la classe inférieure, surtout à