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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/104

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Corbon. Le goût de la lecture chez les ouvriers, et le choix de leurs lectures, avaient contribué certainement à développer un tel sentiment. Nous savons déjà, par les procès politiques de la monarchie de Juillet comme par les confidences d’Agricol Perdiguier ou de Martin Nadaud, que l’ouvrier s’était mis à lire et ce qu’il aimait lire. M, Denis Poulot nous le répétera dans le Sublime, ce livre dont le titre fit fortune, et se piquera même de préciser selon les catégories : « l’ouvrier vrai » lit de l’histoire, l’Histoire de la Grande Révolution, l’Histoire de Dix ans, de Louis Blanc, l’Histoire des Girondins, de Lamartine, l’Histoire du Deux Décembre. « Les questions d’épargne l’intéressent beaucoup, il achète ou demande les statuts ; il lit les comptes rendus des associations, il connaît le Voyage en Icarie et dit la chose impossible. » M. Denis Poulot en a rencontré un, « fils d’ouvrier, ouvrier depuis l’âge de treize ans, qui avait lu Voltaire, Rousseau, qui savait Corneille en entier. » Mais c’est, naturellement, une exception. L’ordinaire, pour « l’ouvrier, » est qu’il lise « le roman à grand orchestre que publie une feuille de chou à un sou, » sans toujours s’y intéresser du reste, ou la gazette des tribunaux, la chronique judiciaire, « qui du moins est vraie » ou surtout le Juif Errant, trouvé d’occasion sur les quais. « L’ouvrier mixte, » troisième variété, lit peu. Cependant, le soir, il écoute sa petite fille qui lit à toute la famille un livre de voyages, qu’elle a eu pour prix. Quand il était jeune, il lisait davantage Alexandre Dumas : mais celui qu’il préférait, c’était Eugène Transpire (sobriquet aisément reconnaissable d’Eugène Sue, innocent jeu de mots faubourien), il n’y a plus d’auteur comme ça ! »

Les divers degrés de sublimes, « sublime simple, » « sublime flétri et descendu, » « vrai sublime, » « fils de Dieu, » lisent moins qu’ils ne parlent. Ils s’en tiennent presque au journal, qu’ils commentent, le jour au cabaret, le soir dans les réunions, ce qui ne les empêche ni de reformer la société à coups de décrets : « Démolissons, nous verrons ensuite. Les géans de 93 ont fait comme ça, voilà tout, » ni d’abonder en aphorismes : « L’avenir est dans les préceptes, les grands principes. — Les dépositaires de la puissance exécutive ne sont pas les maîtres du peuple. — Les prolétaires sont courbés sous le joug, les inutiles vivent de leurs sueurs. — La solidarité des nations doit amener la paix universelle et rendre l’exploitation de l’homme