Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la très jolie fille d’un simple sous-officier français établi en Allemagne, Marianne Chapusset. Il l’épousa contre le gré des siens qui coupèrent aussitôt les vivres au jeune ménage. Sur quoi les tourtereaux se rendirent à Londres où le mari espérait pouvoir vivre de son pinceau, car il avait un certain talent de miniaturiste. Vain espoir ! Bientôt, en compagnie de sa femme et d’un fils de dix-huit mois (qui fut plus tard le général anglais connu sir Charles Imhoff), il devait s’embarquer pour l’Inde afin d’y chercher la fortune. Il l’y rencontra en effet, mais par une voie fort inattendue. Sur le même bateau que les Imhoff voyageait le célèbre Warren Hastings, alors âgé de trente-sept ans. Celui-ci s’éprend de la belle Marianne qui, sans doute, ne reste pas insensible à ce nouvel amour. Des explications s’ensuivent entre les deux hommes : elles aboutissent au plus singulier contrat. Imhoff se fait acheter sa femme et son fils : il se les fait payer si cher par le nabab britannique que lui-même reparaît peu après dans sa patrie avec les allures et la réputation d’un nabab. Après quoi, séparé légalement de sa première femme avec qui il demeurait au surplus dans les meilleurs termes, il épousa Louise de Schardt, la rendit assez malheureuse et la laissa dans une situation fort médiocre après sa mort.

Revenons cependant à Charlotte de Schardt qui, totalement dépourvue de dot, fut attachée dès sa seizième année, en 1758, à la duchesse-régente de Weimar, à titre de demoiselle d’honneur. Elle porta donc dans ses bras le futur ami et protecteur de Gœthe, le duc Charles-Auguste alors au berceau. Mais contrainte de servir une princesse au caractère fantasque, presque dur parfois, elle se façonna de bonne heure au renoncement stoïque, à la ferme maîtrise de soi, soutenue, il est vrai, sur cette voie épineuse par le préjugé de caste, et par la fierté de ses origines nobles qu’on lui avait appris à considérer comme une sorte d’élection divine ici-bas. Les psychologues qui nous révélèrent depuis peu une culture tout aristocratique, celle du Japon d’hier, nous ont dit les sous-entendus stoïques du fameux sourire nippon, si profondément analysé par Lafcadio Hearn en particulier. C’est un sourire de cette nuance qui se fixa dès lors sur les lèvres de Mlle de Schardt, avec une grâce quelque peu teintée d’amertume, et Gœthe devait un jour apprendre beaucoup de ce sourire-là.

Que savons-nous cependant de l’aspect physique de Charlotte