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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/301

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les périls qui s’aggravent. Il s’agit bien, en effet, d’abus extérieurs, passagers ; c’est le principe même du Christianisme, la foi au Christ sauveur, qui est ébranlé dans les âmes. Dans son triomphe, la Renaissance s’est corrompue. L’incrédulité et le paganisme ont passé les Alpes. Dès 1524, Erasme a pu signaler l’extension des doctrines qui nient la Providence et l’immortalité de l’âme, et il ne se trompe guère, quand, trois ans plus tard, il dénonce le « cicéronianisme » comme un mouvement de libre pensée. Budé, à son tour, s’était ému de ces tendances en écrivant, en 1520, contre les doctrines du fatalisme son De Contemptu rerum fortuitarum. De ce monde brillant auquel il appartient et qu’il observe, le moraliste a vite fait de discerner les tares : le luxe des prélats, le cynisme des courtisans, le scepticisme d’un trop grand nombre de lettrés et, d’un mot, sous les dehors chrétiens, la férocité de l’instinct et le déchaînement des sens. « Combien sommes-nous aujourd’hui, écrira-t-il, qui, ayant sucé le lait de la religion, bien plus, qui nourris par elle, en gardons le souvenir ? » Ou encore : « Le monde est plongé dans le sommeil d’Epiménide. » L’homme en est venu à douter de tout, sauf de lui-même. Il s’avilit parce qu’il a cessé de croire, tout en continuant à pratiquer.

A ces intellectuels, et à ces sages imbus de l’hellénisme, il faut prouver que la religion n’est pas seulement la plus haute des philosophies, mais la plus nécessaire ; que les lettres, si légitimes qu’elles soient, ne nous assurent pas les seuls biens désirables : la vérité et la vertu. — La vérité ? La philosophie a pu s’adonner à sa poursuite : elle n’en a saisi que l’ombre. Si belles que soient les œuvres des penseurs ou des poètes, elles n’ont pas pu nous apprendre « la vraie nature des choses, » encore moins notre destinée. L’antiquité n’a murmuré qu’une espérance. Seul, le christianisme nous offre ces certitudes que la raison réclame, cette paix intellectuelle que notre cœur attend. — La vertu ? Plus encore que le vrai, elle échappe à nos prises. La raison peut découvrir l’idéal du Bien ; seule, la grâce nous donne la force de le réaliser. « Autre chose est d’être fait à l’image de Dieu, ce qui est la loi de l’homme raisonnable ; autre chose d’être formé à la ressemblance de Dieu, ce qui est adapter sa vie à la perfection évangélique. » Nous sommes comme ces compagnons d’Ulysse qui font voile vers leur patrie et traversent la « mer des Sirènes. » Comme Ulysse, nous ne