Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pessimiste. Il ne partage plus le joyeux enthousiasme des lettrés de son temps sur la beauté ou la vertu éducatrice du savoir. Dès 1528, dans un petit poème dédié à Paul-Émile, il avait signalé la décadence de son siècle, les désordres de la génération nouvelle, l’immoralité des jeunes, « ces roses qui se flétrissent avant le temps. » Ce dégoût de la culture intellectuelle s’accuse encore dans les Hymnes. Ce que Maigret demande à la poésie, ce n’est plus de charmer l’esprit, de le conduire dans les paysages rians et légers de l’épigramme ou de l’idylle, mais vers les voies austères de la vérité. « Mépriser les bagatelles et se fier au Christ seul ! » Son art se définit dans cette devise. Partant, n’est-il point seulement à l’opposé d’un Dolet, très différent d’un Duché et même d’un Bourbon : c’est contre la culture classique qu’il réagit. « A quoi te serviront la verbeuse Iliade, le double voyage du fuyant Ulysse ? A quoi, l’établissement au Latium de ces dieux de Dardanie portés par la main du fils d’Anchise ? A quoi encore les pampres qu’a tressés le délicat Horace, la muse trop lascive de Properce ? Laisse à d’autres Ovide et les flambeaux de Cythère. Les paroles de l’Evangile comme le Christ souverain, voilà quelle doit être l’inspiration de tes chants. « La Renaissance dont Maigret se réclame n’est pas celle de l’humanisme, mais celle de l’Évangile. — Voilà chez lui un premier trait distinctif. Et voici l’autre. Dans ce retour aux doctrines de la grâce, il garde le sens catholique et ne perd point de vue la pureté du dogme même dans les effusions mystiques de sa foi.

Disciple de Lefèvre, il a l’optimisme, l’attitude bienveillante et sereine du maître. Il ne fulmine point contre les abus de son Église, sachant bien que « Dieu fera lever la moisson à son heure. » Il a le sentiment passionné de l’unité. « Qu’aucune secte, écrira-t-il, ne trouble le peuple fidèle, qu’aucun schisme ne le déchire ! » Il entend être le chantre de la religion intérieure, de cette foi vivante sans laquelle « Dieu est incompréhensible. » Mais ces formules vagues ne lui suffisent plus. Le poète sent le besoin, pour dissocier son mysticisme de la mystique hétérodoxe, de préciser ses contours et de le rattacher aux croyances traditionnelles.

Maigret a donc une doctrine des œuvres. S’il ne les sépare point de la foi, s’il se refuse d’entendre par ce nom les actes rituels et les offrandes extérieures dépouillés de tout leur