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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/334

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vulgaires motifs de prudence hygiénique, — bien que les lettres du duc Charles-Auguste le poussent en avant sur la voie de la galanterie facile. En février 1787 seulement, il avouera au prince, dans un billet assez explicite, qu’il a enfin suivi sur ce point les conseils d’un docteur pourvu d’une si ancienne expérience en la matière, doctor longe expertissimus : « Vous parlez de ce sujet (de exercitio amoris) de façon si persuasive, ajoute-t-il, qu’il faudrait être un cerveau brûlé (cervello tosto) pour n’être pas attiré vers ces jardins fleuris, etc. »


II

Le 18 juin 1788, c’est la rentrée du voyageur à Weimar. Il y donne le spectacle de cette étonnante métamorphose qui surprit tant le cercle de ses amis. La Steifheit, la raideur guindée, tel sera désormais le caractère habituel des discours comme des attitudes de Gœthe, jadis si pleinement dégelé par sa période wertherienne, puis si heureusement assoupli à la politesse de cour par l’influence de Charlotte. Disposition en partie héritée de son père que cette apparence gourmée, qui est dès lors en voie de s’accentuer grandement chez lui avec les progrès de l’âge. Disposition plus d’une fois remarquée, au surplus, par ses amis dès le temps de sa jeunesse, mais que l’ivresse du succès avait un instant supprimée et comme fondue dans sa personne à l’heure de Gœtz et de Werther, en attendant que Mme de Stein lui eût appris à la combattre par la prévenance, la cordialité et la loquacité volontaires dans ses relations sociales.

Peut-être cette attitude traduisit-elle, pour une part, après 1788, l’embarras né d’une assez évidente palinodie morale et bientôt d’une fausse situation conjugale. Lui-même en expliqua plus tard la genèse en ces termes : « Mes amis, au lieu de comprendre mes regrets (de l’Italie) et de me consoler, me réduisirent au désespoir. Mon ravissement à propos d’objets éloignés, à peine connus d’eux, mes souffrances, mes plaintes, sur ce que je venais de perdre semblaient les blesser. Je fus sevré de toute sympathie : nul ne comprenait plus mon langage ! »

Et certes, ses amis purent manquer de ménagement, de véritable intelligence à son égard, mais on s’étonne que, de son côté, il n’ait pas très vite compris qu’il les froissait par ses plaintes, par ses regrets trop ouvertement exprimés, et qu’il