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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/335

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n’ait pas tenté quelques efforts pour leur dissimuler que, désormais, ils ne suffisaient plus à son bonheur. — A Breslau, où il se rend, peu après son retour, pour accompagner le duc Charles-Auguste, un de ses interlocuteurs a noté son élocution difficile : impression si différente de celle que formulaient ses auditeurs de 1775, qui admiraient au contraire l’abondance et l’originalité facile de sa parole ! Il a trop à dire à la fois sans doute, nous explique ce témoin, malgré tout bénévole ; il faut le deviner, dans ses explications. Beaucoup plus tard, Charlotte réconciliée et de nouveau bienveillante à son ancien ami remarquera qu’en tout temps, avec la meilleure volonté du monde, il demeure un hôte affecté de quelque raideur, ein steifer Wirth.

En outre, six semaines seulement après son retour d’Italie, Gœthe a pris pour maîtresse Christiane Vulpius, et nous allons dire la répercussion de cet événement sur sa situation sociale à Weimar et sur ses relations avec Charlotte, qui n’apprit toutefois la chose qu’au bout de quelques mois. Mais, avant même que cette découverte fatale n’eût achevé d’exaspérer la baronne, la bonne intelligence ne put se rétablir entre elle et son ami de si longue date. Le poète vint encore une fois à Kochberg cependant, dans ce cadre agreste où il retrouvait tant de chers souvenirs, mais il n’y apporta que gêne et malaise à sa suite. Les dernières lettres échangées entre lui et Mme de Stein trahissent leur réciproque amertume. Il finit par signifier sans grand ménagement à la baronne que la mauvaise humeur dont elle ne peut décidément se départir à son égard provient sans doute de l’abus du café qui irrite ses nerfs et contre lequel il l’a, dit-il, depuis longtemps mise en garde ! — Interprétation toute matérielle d’un chagrin fort légitime, qui achève de la blesser jusqu’au fond de l’âme et dont nous verrons qu’elle n’oublia jamais l’injure. Elle souligna tout aussitôt cette phrase malencontreuse par un Oh ! d’indignation, écrit de sa main dans la marge de la lettre fatale qui rompit pour plus de dix ans toute relation amicale entre son auteur et sa destinataire.


III

Quelques mots maintenant sur cette Christiane Vulpius qui acheva de séparer Gœthe de Mme de Stein et que certaine critique contemporaine oppose volontiers à cette dernière comme