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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/340

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Elle avait quarante-cinq ans qu’elle fréquentait encore à Iéna les bals d’étudians où Charlotte de Stein nous assure qu’on lui faisait toutes les polissonneries imaginables. Auguste de Gœthe, alors âgé de vingt-deux ans et d’esprit assez fruste cependant, était tout honteux d’accompagner sa mère en pareil lieu, pour la livrer aux brocards des jeunes gens de son âge. Un pamphlet du temps rapporte que les étudians eux-mêmes furent enfin choqués d’une pareille tenue chez la femme du plus grand écrivain de langue allemande. Ils projetèrent donc de lui donner une leçon en lui faisant un jour la conduite en cortège sur la route de Weimar, tous montés à dos d’âne. Elle n’évita cette avanie qu’en quittant précipitamment Iéna par une autre porte que celle où l’attendait la burlesque manifestation. « Quel démon lui accola pareille moitié ! » soupire encore Mme Schiller en parlant de Goethe à cette date.

Elle mourut de la plus triste façon, dit Johanna Schopenhauer (pourtant si bien disposée à son égard), entre les mains de mercenaires, presque dépourvue de soins. Ni son mari, ni son fils ne l’assistèrent à sa dernière heure : « Nulle main amie ne lui a fermé les yeux, écrit Mme Schopenhauer. Son intempérance dans toutes les jouissances de la vie durant une période qui est très dangereuse pour notre sexe lui avait préparé le plus terrible des maux, l’épilepsie ! » Peut-être s’agissait-il plutôt de crises d’alcoolisme aigu, en raison de son hérédité et de ses propres excès.

Il nous paraît que toute tentative de réhabilitation trop ambitieuse se heurtera nécessairement à des textes aussi précis que les précédens. Ajoutons que Bielschowsky, le biographe si modéré de Goethe, reste sévère à « Demoiselle Vulpius. » Elle ne se façonna jamais, dit-il. Goethe ne crut rien lui devoir en matière de fidélité conjugale : sa médiocre administration du ménage et les soucis qui en résultaient pour le poète auraient même été l’une des causes déterminantes de la grave maladie dont il fut atteint en 1800[1]. Nous voilà loin d’une Christiane apportant à son compagnon la paix du foyer. Nous ajouterons qu’à notre avis la mort de sa femme fut pour Gœthe une véritable délivrance, en dépit des quelques larmes qu’il lui donna de loin lors de son décès. Car le veuvage du poète lui permit seul

  1. II, 244.