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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/379

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disgrâce, tomberait de lui-même. On « viderait alors ce gros turbot farci, » disait galamment Vadier.

Ce fut le plan adopté dont l’exécution se trouvait facilitée par l’état moral de la Convention.

Elle vivait depuis doux mois dans une indescriptible atmosphère de soupçon. Certains de ses membres s’étaient laissé corrompre par les agens de la Compagnie des Indes : Chabot, le plus compromis des représentans, avait été arrêté, mais on espérait impliquer Fabre dans l’affaire, encore que Chabot, doublement fripon, eût gardé pour lui les 100 000 livres qu’il était notamment chargé de remettre à l’alter ego de Danton, pour changer l’esprit d’une motion déposée par lui sur cette grosse affaire. D’ailleurs, en attendant qu’on impliquât Fabre, certaines lettres de Chabot, qu’on trouve aux Archives, font soupçonner qu’on essayait (assez grossièrement d’ailleurs) de compromettre Danton lui-même avec le corrupteur et que celui-ci, — dans quel espoir de non-lieu ? — s’y prêtait. Danton laissa sans réponse les lettres compromettantes que ce misérable lui envoyait de sa prison comme « au plus cher de ses amis, » et, par là, éventa le piège, — ce qui n’empêchera pas Robespierre d’en venir à ses fins, puisque, avant trois mois, Chabot et Danton s’assiéront avec Fabre sur le même banc en face du Tribunal.

En attendant qu’on arrivât à compromettre Fabre en cette ignoble affaire, on essayait d’autre chose. Philippeaux, revenu de sa mission en Vendée, était l’objet d’accusations violentes de la part d’autres commissaires de l’Ouest, notamment de Levasseur, grand ami de Robespierre. Philippeaux avait, disait-on, désobéi aux ordres du Comité. Rentré à Paris depuis le 16 octobre, il s’était décidé à répondre très vivement, le 6 décembre, par des mémoires où, prenant l’offensive, il énumérait les désastres qui, en Vendée, avaient suivi son départ. Il concluait que le Comité avait péché par faiblesse et crédulité « envers une ligue de fripons. » Ces « fripons » étaient les Hébertistes ; mais le Comité se montra, plus que ceux-ci mêmes, ému des critiques qui, venant d’un ami de Danton, lui paraissaient faire partie de tout un plan de campagne contre lui.

Desmoulins d’ailleurs s’était emparé des « mémoires de Philippeaux » pour en accabler les Hébertistes, et les Dantonistes épaulèrent l’ex-commissaire en Vendée avec tant de vigueur que, tout en gardant à celui-ci une amère rancune, le Comité