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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/382

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que ce pot-de-vin eût été destiné à l’homme ? A force de chercher, d’ailleurs, on avait trouvé. Chez Delacroix d’Angers, député corrompu, on avait saisi la pièce qu’il fallait. A dire vrai, c’était un demi-faux : un projet déposé par Fabre en faveur de la Compagnie, mais que Chabot et les autres avaient de telle façon arrangé, qu’il semblait révéler clairement un accord entre ces fripons et le lieutenant de Danton.

Le 14 nivôse (4 janvier) Robespierre attaqua brusquement Fabre aux Jacobins dans la pensée de le surprendre, de le décontenancer, de lui arracher peut-être un aveu. De fait, Fabre, dont la conscience n’était guère nette, parut confondu. Quelqu’un cria : « A la guillotine ! » Il pâlit. Le 24 nivôse (10 janvier), le Comité le faisait arrêter et écrouer.

Le fait était grave pour Danton, d’autant qu’on parut admettre partout la culpabilité de Fabre. Il était de ces riches auxquels on est porté à prêter.

Danton lui-même était-il convaincu de l’innocence de Fabre ? J’hésite à le croire. Il n’osa plaider innocent lorsque, le jour même, il parut à la tribune. Il demanda simplement que, dessaisissant son Comité de sûreté générale, la Convention se saisît du procès. « Lorsqu’on vous dévoile des turpitudes, un agiotage, des corruptions, s’écria-t-il, lorsqu’on tient un faux qui peut être désavoué et attribué à une main étrangère, pourquoi n’entendriez-vous pas ceux qu’on accuse ? » Billaud, qui déjà réclamait sans se lasser, à ses collègues du Comité, l’arrestation de Danton, entendit, puisque son ennemi ne se compromettait pas plus, le lier de force à Fabre : « Malheur, cria-t-il, à celui qui a siégé à côté de Fabre et est encore sa dupe ! » Il fallait que Danton se sentît déjà enveloppé ou qu’il fût déjà quelque peu démoralisé, pour qu’il n’ait point bondi sous cette menace. Il se contenta de réclamer derechef la lumière ; mais Amar, membre du Comité de sûreté générale, ayant défendu celui-ci, Danton recula : « Mon intention, dit-il, n’a pas été d’accuser le Comité ; je lui rends justice. » Et Fabre fut maintenu sous les verrous, nouvelle et cruelle atteinte au prestige de Danton. Le soir du 25 nivôse, Couthon écrivait : « La Convention s’est encore purgée d’un mauvais sujet, » et il faisait prévoir d’autres évictions : « L’Assemblée vomirait de son sein tout ce qui s’y trouve d’impur. » C’était maintenant d’Hérault qu’il s’agissait.