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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/385

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porta son nouveau numéro, le VIe, à l’imprimeur, celui-ci refusa d’imprimer. Le vide se faisait autour du malheureux.

Le vide se faisait aussi autour de Danton. Fréron, épouvanté, écrivait du Midi à Bayle : « Par le mot qu’a dit Billaud : Malheur à ceux qui siègent à côté de Fabre, aurait-il entendu parler de Danton ? Celui-ci est-il compromis ? » On sent un ami qui, par peur, va fléchir. Et, à se voir évité par d’autres, Danton doit percevoir l’effet que cause la disgrâce de Philippeaux, de Fabre, d’Hérault, de Camille. Le 12 pluviôse (21 janvier), enthousiasmé par un patriotique discours de Jeanbon, le tribun se précipite vers lui à la descente de la tribune, les mains tendues : « Tu as eu le courage, lui crie-t-il, de dire de fortes vérités. » Et l’autre, rudement, le repousse : « Et toi, tu n’as pas eu celui d’en profiter. » On n’aime plus passer pour Dantoniste.

C’est ce que Robespierre avait attendu du plan qui, ainsi, atteignait sa fin. Danton discrédité, isolé, n’allait pas tarder à se démoraliser. Alors rien ne serait plus facile que de renverser l’ « idole pourrie. »


IV. — LE DERNIER EFFORT DE DANTON

« Marius n’est plus écouté, il perd courage et devient faible. » C’est encore Lucile, qui, le 24 nivôse, écrit à Fréron ; et Marius, c’est Danton.

Il est certain que la disgrâce de ses amis lui tranchait les jarrets. Mal guéri de sa neurasthénie de septembre, il retombait, « devenait faible, » « perdait courage. » Des paroles amères lui échappaient. « Quelque séduisant que soit le pouvoir, mérite-t-il les efforts que je vois faire autour de moi pour l’obtenir ? » Devant les « horreurs » qu’on commettait (« les têtes tombent comme des ardoises, » criait Fouquier-Tinville ivre de joie), le Cordelier se posait la terrible question : « La liberté peut-elle exister ? » A Courtois, il disait : « Ils me font tellement haïr le présent que, quelquefois, je regrette le temps où le revenu de ma semaine était fondé sur une bouteille d’encre. » Tous les témoignages concordent pour le montrer pris de « torpeur.- » Un ennemi Levasseur, un ami Thibaudeau, le peignent « fatigué. » Un autre contemporain, Duval, le rencontrant à Sèvres, fut frappe de son abattement. Ses ennemis en profitaient :