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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/599

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Winchester, après avoir tout conduit, pleura devant le bûcher, mais, en même temps il faisait jeter les cendres à la Seine ; la politique seule le dirigeait.

Le cardinal d’Angleterre trouvait en l’évêque de Beauvais un homme d’une habileté exceptionnelle, propre à toutes les besognes. Ambitieux et cupide, traître à son pays, détestant Jeanne d’Arc, l’appât du siège métropolitain de Rouen était un motif de plus pour que Cauchon s’associât entièrement aux vues du gouvernement anglais.

Les deux juges étaient donc l’évêque de Beauvais et le vice-inquisiteur Jean Lemaître. A la nouvelle du procès, Jean Lemaître voulut fuir ; menacé de mort, il devint juge malgré lui. Prodige de lâcheté, la crainte lui fit tout accepter et il partagea le crime de Cauchon.

Une soixantaine d’assesseurs entouraient les juges, mais n’avaient que voix consultative. Trois greffiers complétaient le tribunal : Guillaume Manchon, G. Colles dit Bois Guillaume, et Nicolas Taquel, ce dernier amené par Lemaître.

Manchon, prêtre et notaire de la cour épiscopale, était le greffier titulaire. Il eût été le témoin le mieux informé s’il avait voulu parler. Caractère faible et craintif. Manchon eut de tels remords d’une complicité tacite et des compromissions acceptées, qu’il déclara : « qu’après le bûcher jamais ne ploura tant pour chose qui lui advint, et par un mois après ne s’en povait bonnement apaiser. »

Ce ne fut que longtemps après la mort de Jeanne, après plusieurs années, « je ne sais pas quand, » disent les greffiers, que l’on rédigea le procès-verbal des séances. La rédaction en fut faite sur les notes d’audience que Manchon avait prises, et c’est à propos de ces notes que Jeanne disait : « Vous écrivez ce qui est contre moi et non ce qui est pour moi. » Pour cette rédaction, Thomas de Courcelles, « lumière de l’Université de Paris, » le plus habile des assesseurs et l’un des plus compromis, fut adjoint à Manchon ; Courcelles avait demandé que Jeanne fût soumise à la torture !

Ce fut donc sans aucun contrôle, et dans le tête-à-tête de deux complices, qu’ils rédigèrent le procès-verbal d’où était éliminé tout ce qui était trop compromettant, pour introduire, au contraire, ce qui paraissait utile à leur cause. Lorsque vint le procès de révision, quel terrible moment pour les deux