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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/864

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hier toutes les dames, mais il faut qu’elle ne touchent guère, car je vis nos courtisans bien languissans et peu occupés. N’est-ce pas estre bien à bout de plaisirs, quand l’on est réduit à jouer avec des enfans ? C’est ce que fit Konigsmarck tout le soir. Il le passa à faire des maisons de cartes à la petite princesse et à la petite Chevalerie. Je lui en sus pourtant bon gré, mais il me parut, de plus, qu’il ne vouloit pas donner de la jalousie à sa maîtresse, s’il en a une. Beau et bien fait comme il est, il y a plus d’apparence qu’il en a qu’à croire qu’il n’en a pas. »

« Vous jugez bien que ces manières-là charment et qu’elles m’attachent plus fortement à vous. Mais il y a bien de la malice, mon très cher, à laisser, comme vous faites, une pauvre femme dans une inquiétude à mourir, car vous n’avez pas la charité de me nommer les dames avec qui vous vous divertissez ; mais enfin je vous pardonne, et je suis si contente de vous, que je ne saurois assez bien vous en marquer ma reconnoissance.

« Hors le plaisir de savoir les manières charmantes que vous avez pour moy, la lettre de 205 ne m’en fait point. Je meurs de peur qu’elle ne pénètre vos raisons. Vous devriez estre l’homme du monde le plus fier, car, remarquez bien, tout vous admire, vous plaisez généralement, et jusqu’aux vieilles qui ne voyent presque plus, se récrient sur tous vos charmes. Pour moy, je vous l’avoue, je suis plus glorieuse que je ne saurois le dire d’avoir un amant comme vous. L’amour n’est pas plus beau ni plus aimable. Vous joignez à cela beaucoup de tendresse, de la fidélité, les manières du monde les plus touchantes. Il ne manque rien à mon bonheur que de vous voir et de ne vous quitter jamais. Je ne suis occupée que du dessein de m’attacher à vous pour toute ma vie, et je passe mes nuits sans dormir à force d’y penser. Elles seroient bien plus agréables si je les passois à consulter avec vous… »


Les lettres qui vont suivre apportent, à travers les menus détails qui intéressent les amans, la justification formelle de l’accusation qui pèse sur Konigsmarck d’avoir voulu tirer profit de son amour. Elles démontrent qu’entièrement soumis aux volontés de la princesse, de même qu’il lui avait sacrifié ses biens en Suède, il refuse à Hanovre toutes les propositions avantageuses. Sophie-Dorothée va jusqu’à exiger qu’il ne parte pas pour la guerre contre les Danois ; à quoi il répond simplement :